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exécuter une clause du cahier des charges qui l’oblige à jouer vingt actes par an. Vingt actes ! y songe-t-on, et combien faudra-t-il de publics pour aller les entendre ? C’est l’histoire de ce rimeur qui avait composé une épopée de cinquante mille vers et à qui on répondait : Mais, monsieur, il vous faudra trente mille hommes pour la lire. De tels débats n’ont pas besoin qu’on les passionne, le premier devoir de la discussion serait au contraire de travailler à les calmer : soin d’ailleurs fort délicat, car, si les intérêts des jeunes compositeurs veulent être ménagés, il convient aussi de ne point perdre de vue ceux des administrations. sur lesquelles de graves responsabilités pèsent de tout temps, que le choix du public dirige et gouverne bien autrement que les influences réglementaires. Nous ne sommes pas de ceux que le talent méconnu a jamais trouves indifférons ; s’il nous arrive quelquefois d’user de rigueur, on nous rendra cette justice de reconnaître que c’est envers les forts. Loin de nous repousser, la faiblesse nous attire, nous voudrions pouvoir l’aider de toutes nos sympathies, nous avons dans l’âme un tendre pour elle, à cette condition pourtant que la faiblesse ne sera pas la médiocrité. De celle-là, pas plus que le public, nous ne voulons, et quand toutes les commissions et tous les gouvernemens se mettraient d’accord en sa faveur, la situation resterait toujours la même. Quiconque a la moindre expérience du monde dramatique sait à quel point ces intérêts si parfaitement respectables ont été pris à cœur pendant ces vingt dernières années. On a construit des salles de spectacle, inventé des concours, à quoi tant de mesures ont-elles abouti ? Qu’obtiendrait-on aujourd’hui, en supposant que l’administration supérieure intervînt d’une façon coercitive ? Se voir contraindre à jouer vingt actes par an, autant vaudrait abdiquer incontinent. Quelles combinaisons de répertoire resteraient possibles à de telles conditions ? Quelle mise en scène sérieuse serait-on en droit d’exiger d’un théâtre ainsi toujours et partout interrompu dans ses travaux, dans ses succès ? Il faudrait donc alors arrêter le Premier Jour de bonheur à sa huitième représentation, en plein triomphe, et lâcher éternellement la proie pour l’ombre. Les calculs, en pareil sujet, parlent plus haut que tous les argumens. Un tel état de choses serait la ruine, la déchéance, et Paris n’aurait bientôt plus que des théâtres de province où l’on monterait en quinze jours des ouvrages destinés à vivre trois semaines, et qui, applaudis ou siffles, disparaîtraient de l’affiche pour céder la place à jour fixe au nouvel objet de consommation. Au théâtre, un gouvernement n’aura jamais, quoi qu’il fasse, que sa place au parterre. Il surveille et n’entrave pas, se contentant d’interpréter dans le sens le plus large et le plus libéral ces sortes de contrats, et persuadé que pousser les choses à l’extrême, vouloir tout exiger, serait tout compromettre. La lettre tue, l’esprit seul vivifie, et c’est avec des sous-entendus qu’on mène le monde.

Il suffit que ces cahiers des charges soient une arme constamment