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entendre, dit-on, qu’il avait mis la main sur une vaste conspiration, qu’il y avait eu des réunions clandestines où une insurrection avait été décidée, que les procès-verbaux de ces réunions avaient été surpris, et qu’on avait même trouvé la trace de la participation du duc de Montpensier à ces agitations. Le complot allait éclater, c’est alors qu’on avait arrêté et interné tous les généraux accusés d’avoir préparé le mouvement. Qu’il y ait des conspirations en Espagne, ce n’est pas douteux ; il y en a aujourd’hui plus que jamais, et, pour avoir sauvé encore une fois la société, le cabinet actuel de Madrid ne se montre pas plus rassuré. Il craint, et il a raison, puisqu’il a contribué plus que tout autre à créer cet état violent dont il se fait un prétexte pour prolonger sa dictature ; au fond cependant il n’est pas besoin de conspirations pour expliquer ce qui se passe au-delà des Pyrénées.

La vérité est que la situation de l’Espagne est due uniquement à la prépondérance croissante de l’esprit de réaction, devant lequel disparaissent successivement toutes les garanties. Depuis deux ans, le ministère actuel a si bien fait, que tout ce qu’avait créé autrefois le parti modéré n’existe même plus. Lois sur l’ordre public, lois sur l’enseignement, régime de la presse, règlement des chambres, organisation des provinces et des municipalités, tout a été réformé sous cette influence purement absolutiste. Le général Narvaez, tant qu’il vivait encore, affectait sans cesse, il est vrai, de se dire constitutionnel, de représenter la dictature qu’il exerçait comme une nécessité temporaire. L’œuvre de réaction ne se poursuivait pas moins, et elle a été poussée si loin qu’une certaine hésitation a fini par se produire même parmi les amis du gouvernement, jusque dans le sein du conseil. C’est ce qui expliquait, il y a quelques mois, la retraite du ministre des finances, M. Barzanallana, qui avait eu, depuis le premier jour, la rude charge de pourvoir à tous les besoins d’un gouvernement aux abois. Le prétexte ostensible de cette retraite était une opération qu’il voulait imposer à la banque d’Espagne, et que celle-ci ne voulait pas accepter. La banque trouvait un appui parmi les autres ministres, et M. Barzanallana se retirait. La vraie raison, c’est que M. Barzanallana ne voulait plus s’associer à la politique du cabinet. Il avait accepté cette politique pendant une année comme une grande et sérieuse nécessité dans l’état où se trouvait l’Espagne ; il avait participé à toutes les mesures préservatrices. L’ordre une fois rétabli, il pensait que le moment était venu de rentrer dans une voie plus large, plus libre. Il avait notamment sur les finances des idées hardies qui n’allaient à rien moins qu’à une réorganisation de l’église pour arriver à une diminution du budget des cultes, qui atteint presque le chiffre de 50 millions, et il se fondait sur ce fait significatif, qu’il y avait des paroisses où on ne comptait pas cinquante habitans. Avec ces idées, il ne pouvait évidemment rester dans un ministère qui a rendu au clergé son ancien ascendant, et qui d’ailleurs était infiniment plus préoccupé