Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/755

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

eut notamment une heure, aux derniers jours d’avril 1866, où l’Italie, se voyant pressée, menacée par l’Autriche, qui paraissait vouloir s’accommoder avec la Prusse, se tourna vers Berlin, et où M. de Bismarck déclinait parfaitement les obligations du traité secret qui existait depuis quelque temps déjà. Et pourtant à ce moment même ou peu de jours après que faisait le général La Marmora ? On ne l’a su que depuis, et c’est un malheur si la diplomatie française l’ignora, ou si, le sachant, elle n’eut point l’idée de tirer parti d’une telle circonstance. Au commencement de mai 1866, le général La Marmora, et c’est lui-même qui l’a révélé assez récemment, fut surpris par une offre directe de cession de la Vénétie à la condition que l’Italie resterait neutre. Notez que sans mettre de noire perfidie il n’y aurait eu qu’à gagner un peu de temps, à laisser venir l’heure de l’expiration du traité secret, qui n’était d’abord que pour trois mois. Le général La Marmora refusa néanmoins par honneur, parce qu’il se considérait comme lié, et un de ses collègues, M. Jacini, a pu écrire, non sans raison, dans une intéressante brochure que « la résolution prise par le chef du ministère italien dans une salle du Palais-Vieux de Florence pendant la nuit du 5 au 6 mai 1866 devrait être enregistrée en caractères d’or dans les annales de la monarchie prussienne. » Que prouve tout cela ? C’est que la Prusse a de singulières outrecuidances dans ses victoires, qu’elle oublie un peu le passé lorsqu’elle devrait se souvenir après tout que cette alliance de 1866 lui a été infiniment plus profitable qu’elle n’a pu l’être à l’Italie, qui n’y a gagné que ce qu’elle aurait eu dans tous les cas. Nous ne voudrions certes point paraître aigrir un incident relevé avec vivacité à Berlin ; nous voudrions tout au plus y voir le signe d’un fait incontestable à nos yeux : c’est que cette alliance prussienne, que certains esprits préconisent aujourd’hui à Florence un peu par mauvaise humeur contre la France, qui a été utile sans doute et qui peut l’être encore, n’a nullement le caractère d’une de ces combinaisons qui s’imposent naturellement à un pays. Entre l’Italie et la Prusse, une action commune sera toujours accidentelle ; entre la France et l’Italie, il y a des traditions, des intérêts, des instincts communs faits pour triompher des mauvaises humeurs d’un moment et même des difficultés plus sérieuses, comme celles que la question de Rome laisse encore subsister.

L’Italie a le mérite d’offrir le spectacle d’un pays cherchant dans la liberté sa sauvegarde et sa force. L’Espagne a le malheur de tourner sans cesse dans un cercle d’agitations obscures et profondément stériles. Où va l’Espagne, et que fait-elle ? La réaction, une réaction sans limites, règne et gouverne au-delà des Pyrénées. Elle s’est attestée récemment par ce coup de filet qui a enlevé un matin une multitude de généraux ou d’officiers inférieurs, par cet ordre d’exil qui est allé atteindre le duc et la duchesse de Montpensier, devenus tout à coup suspects au cabinet de Madrid. Le ministère espagnol, pour expliquer sa conduite, a laissé