Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/754

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est la question du passé, de l’alliance de 1866, de ses caractères et de ses résultats. La Prusse est heureuse aujourd’hui, elle savoure ses victoires, et ce n’est pas précisément par le tact qu’elle brille dans l’orgueil de son bonheur. Elle publie un compte-rendu de la guerre de 1866, rédigé sous la direction supérieure du général de Moltke, et dans ce compte-rendu l’état-major prussien ne ménage pas extrêmement l’armée italienne. Il est visible que dans la pensée des stratégistes de Berlin cette armée n’a pas fait ce qu’on lui demandait, ce qu’on attendait d’elle. L’état-major prussien le prend de haut vis-à-vis de l’état-major italien. C’est là ce qui a ému le général La Marmora, ce qui a motivé son interpellation, acceptée d’ailleurs par le général Ménabréa, président du conseil.

Ce qu’il y a eu de curieux dans le développement de cette interpellation, c’est que le général La Marmora, blessé dans sa susceptibilité, a cru devoir révéler les plans des tacticiens berlinois en lisant une dépêche que M. d’Usedom, ministre de Prusse à Florence, lui adressait le 17 juin 1866, six jours avant la bataille de Custoza, lorsqu’il était déjà en pleine marche sur le Mincio. Or que demandait l’état-major prussien ? Peu de chose en vérité, il demandait à l’armée italienne de tourner le quadrilatère pour se jeter sur Vienne, tandis que Garibaldi, lancé sur les côtes de la Dalmatie, irait, par la vertu de son nom et de ses volontaires, révolutionner les Slaves de l’empire autrichien et donner la main à la Hongrie, soulevée à son approche. Nous ne sommes pas des stratégistes, nous trouvons seulement que la politique prussienne allait un peu vite. Tourner le quadrilatère, échapper à près de 200,000 Autrichiens campés dans la Vénétie pendant que Garibaldi se chargerait de la Hongrie, voilà vraiment beaucoup de besogne militaire et révolutionnaire. Le ton de la dépêche était d’ailleurs impérieux et tranchant, si bien que le général La Marmora la mit dans son portefeuille sans répondre, et ce n’est qu’aujourd’hui qu’il la révèle pour montrer que, s’il a été malheureux à Custoza, il n’a pas eu tort du moins de se refuser à l’exécution de plans chimériques dans le fond, plus blessans encore dans la forme. De là l’émotion qui s’est produite parmi les amis de la Prusse à Florence en même temps qu’à Berlin, où l’on s’est hâté de tempérer l’effet de ces communications.

La question en apparence est purement militaire ; au fond, il est aisé de voir que c’est la question de l’alliance prussienne qui s’agite à propos d’un détail de stratégie. On a accusé le général La Marmora d’avoir cédé à un emportement d’amour-propre, mieux encore à un mouvement d’antipathie contre la Prusse. Quel est cependant l’homme d’état qui a noué l’alliance prussienne ? Seulement le président du conseil italien de 1866 peut savoir ce que bien d’autres ne savent pas ou ce qu’ils ont oublié, c’est que cette alliance n’a pas été facile à faire accepter à Berlin, et qu’elle n’a pas été toujours sûre, même quand elle a été conclue. Il y