Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/748

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

morale, s’il a été, non par de vaines déclarations, mais par ses actes, le promoteur, le protecteur de tous ces emprunts, si les capitaux qui se sont engagés ont pu croire qu’ils se donnaient à la France encore plus qu’à un empereur sans empire, alors il n’y a plus à marchander, il ne s’agit plus d’hésiter entre trois millions et quatre millions, c’est la dette totale qu’il faut rembourser. En un mot, ici la question financière est visiblement dominée par la question politique, une question de responsabilité d’état.

A dire vrai, puisqu’on ne pouvait éluder cette maussade liquidation de l’affaire mexicaine, qui reste comme une ombre sur les derniers jours de la session, puisqu’il fallait y venir de toute façon, il n’y avait qu’un moyen d’aborder la difficulté : c’était d’avouer sans détour, avec une franchise qui n’eût pas été sans grandeur, qu’effectivement on s’était trompé, qu’on avait été dupe d’une désastreuse illusion qu’on avait fait partager aux autres en la partageant soi-même, et qu’il ne restait plus qu’à payer les frais d’une entreprise légitime sans doute à l’origine dans une certaine limite, glorieusement poursuivie par nos soldats, si l’on veut, mais à coup sûr légèrement combinée et plus malheureusement terminée. Dès lors les détails disparaissaient, et l’opposition, même victorieuse dans ses prévisions, restait jusqu’à un certain point désarmée devant cette sévère et hautaine confession ; mais quand donc a-t-on vu un gouvernement avouer une erreur avec une simplicité virile ? Assurément le discours qu’a prononcé M. Rouher en répondant à M. Jules Favre a un certain accent de fière tristesse ; il n’est plus triomphant, il n’a plus cette confiance superbe et dédaigneuse qu’il avait à l’époque où il célébrait les merveilles de l’emprunt, où il assurait que la France ne se retirerait qu’après avoir accompli son œuvre au Mexique. Les temps sont changés. M. Rouher, avec la souplesse de son vigoureux talent, ne peut pourtant s’empêcher de plaider encore les circonstances atténuantes, de mêler à sa défense de violens retours offensifs contre ceux qui avaient plus raison que lui, d’absoudre ou même d’exalter le gouvernement presque autant que s’il eût réussi, et il n’a pas vu qu’il ne faisait que se débattre vainement dans une situation qu’aucune éloquence ne peut pallier ; il n’a pas remarqué que, si le gouvernement était aussi irresponsable qu’il le disait dans la négociation des emprunts, cette partie de son discours allait droit contre les propositions qu’il soutenait en faveur des détenteurs de titres mexicains. Il justifiait sans le vouloir l’argumentation passionnée de M. Jules Favre contre ces obligataires étourdis attirés dans le guêpier des loteries. M. le ministre d’état ne s’est point aperçu enfin que ce n’était guère le moment de railler avec une amertume mal dissimulée l’opposition sur sa victoire du Mexique, de lui faire presque un crime de ses pressentimens et de ses avertissemens, car après tout que constatait cette discussion même ? Une seule chose, c’est qu’entre l’opposition ne cessant de protester depuis le premier jour, clairvoyante