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dernier moment la question du Mexique qui s’est réveillée et a éclaté comme un coup de tonnerre au déclin d’une lourde et chaude journée ; elle est venue illustrer cette carrière législative expirante d’un dernier reflet de passion et d’éloquence. Cette session s’inaugurait, il y a neuf mois, au milieu des émotions mal apaisées de la seconde expédition de Rome ; elle s’achève au milieu des souvenirs irritans de cette expédition mexicaine dont on croit toujours dire le dernier motet qui ne cesse de peser sur notre politique, dont la rançon financière est aujourd’hui cette rente annuelle de Il millions inscrite au budget pour les porteurs d’obligations, pour tous ces naïfs complices d’une des plus étranges aventures où ait été lancée la fortune de la France.

On a beau vouloir secouer cette obsession en effet, un mot suffit pour que la plaie se rouvre, pour que cette malheureuse question se relève avec son cortège d’illusions cruellement expiées, de faux calculs, de déplorables erreurs et de tragédies. Ce n’est pas en un jour qu’on peut arriver au bout de cette douloureuse liquidation. Le gouvernement, pour en finir une bonne fois, avait proposé d’inscrire au budget trois millions de rente destinés à désintéresser autant que possible, tous ceux qui avaient quelque revendication à exercer, ou qui s’étaient engagés à sa suite dans cette triste affaire. Le principe d’une compensation nécessaire une fois admis, cette proposition avait au moins quelque chose de rationnel, puisque la rente offerte se composait de la partie des emprunts laissée en dépôt pour la reconstitution progressive du capital, et des sommes que le gouvernement lui-même avait reçues, dont il pouvait faire le libéral abandon. La commission législative a ajouté un million, elle a voulu se montrer généreuse envers les victimes de la grande faillite mexicaine, et à coup sûr, si on pouvait avec de l’argent effacer jusqu’à la dernière trace de cette désastreuse aventure, on ne paierait jamais trop. Seulement c’est ici qu’a commencé la confusion ; les générosités de la commission n’ont fait que rendre plus sensible un point déjà très controversé dans la proposition primitive. Si le gouvernement n’est point engagé par tout ce qu’il a fait, s’il n’est pas responsable des mésaventures des porteurs d’obligations mexicaines, de quel droit rejeter aujourd’hui sur les contribuables le poids d’une opération hasardeuse ? Les prêteurs ont su ce qu’ils faisaient, ils ont cédé à l’appât des intérêts usuraires des remboursemens démesurés et des lots extraordinaires ; ils ont joué : ils pouvaient gagner, ils ont perdu ; c’est un malheur pour eux, et, comme l’a dit M. Jules Favre, n’est-il pas d’une souveraine injustice d’associer la masse du pays à la perte quand elle n’était pas associée au gain ? N’y a-t-il pas même une criante immoralité dans cette prime accordée à la fièvre de la spéculation et de l’agiotage au détriment de ceux qui ne demandent qu’à un travail honnête et obstiné le pain ou le bien-être de chaque jour ? Si au contraire le gouvernement a assumé une véritable responsabilité légale ou simplement