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de très peu de temps. En veut-on la preuve ? Le torréfacteur Rolland solde son prix de lui-même en moins d’une année par l’économie qu’il apporte dans la manutention ; le râpage à bras coûtait 12 fr. 50 cent, par 100 kilogrammes ; certes les moulins qui l’ont remplaceront dû être payés fort cher, mais ils ont produit dix fois la valeur qu’ils représentent, puisque pour 50 centimes ils pulvérisent la même quantité de tabac. Il en est de tout ainsi : les achats par larges masses, l’agrandissement des manufactures, l’augmentation du personnel ouvrier, permettront de donner au public des produits qui, étant plus soignés, seront mieux accueillis et par conséquent apporteront chaque année quelques millions de plus à notre budget. Le fait est important et vaut qu’on s’en préoccupe. Il est à regretter qu’en 1860, lorsqu’on a rétabli la direction, on ne l’ait pas du même coup placée dans les conditions normales où elle devrait être pour échapper à certains malaises qui l’atteignent et acquérir le développement qu’elle comporte. La consommation augmente d’elle-même dans des proportions dont il faut tenir compte ; elle ne pourrait que s’accroître encore, si le soin de la satisfaire était remis à un ministre que ses fonctions rompent forcément à toutes les difficultés, à toutes les ressources, à toutes les exigences de l’industrie, de l’agriculture et du commerce.

Les chiffres que nous avons cités dans le courant de cette étude prouvent que le tabac a de nombreux amateurs ; mais en revanche il a des adversaires déclarés qui lui font une guerre à outrance. Bien des médecins qui ne partagent pas l’opinion de Sganarelle entreprennent de temps en temps des croisades en règle, et nous prédisent que si nous continuons à fumer nous tomberons inévitablement « dans la bradypepsie, de la bradypepsie dans la dyspepsie, de la dyspepsie dans l’apepsie, de l’apepsie dans la lientérie, de la lientérie dans la dyssenterie, de la dyssenterie dans l’hydropisie et de l’hydropisie dans la privation de la vie, où nous aura conduits notre folie ! » Le diable n’est peut-être pas aussi noir qu’il en a l’air. Il est certain que l’habitude du tabac est inutile, souvent désagréable, et qu’il vaut mieux ne pas l’avoir ; mais entre cela et les conséquences qu’on veut en tirer il y a un abîme. L’abus de sa nature est pernicieux en toute matière. Il est certain que, si l’on fume incessamment dans des pipes de terre sales et trop courtes, on peut être attaqué par de petits cancers à la langue ; mais. c’est à peu près à ce seul effet que se bornent les constatations de la science. Sans partager l’opinion de Pauli, le docteur italien, qui disait sérieusement que le crâne des fumeurs devient noir, il est facile encore aujourd’hui de soutenir que le tabac est mortel. C’est un thème comme un autre, et on peut acquérir quelque importance