Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/73

Cette page a été validée par deux contributeurs.

friands de sensualités pittoresques, n’ont pu manquer de lui donner de bons conseils païens. Ces conseils, comment ne les a-t-il pas écoutés ? À supposer qu’il n’ait pris l’avis de personne, d’où vient que sa fantaisie ne l’a pas entraîné dans le sens où l’on dit qu’elle inclinait, et où, par exemple, est tombé en plein Annibal Carrache ? La Galatée de ce dernier, au palais Farnèse, n’est plus qu’une néréide vulgaire qui s’abandonne à un triton grossier. Ni l’habileté décorative du peintre, ni la brillante ordonnance de son tableau, ne dissimulent l’abîme qui sépare son œuvre de la création si poétique et si noblement expressive du Sanzio. Ici Carrache n’a emprunté à la plastique des Grecs que les dos qui se tordent, les membres qui ploient, les chairs qui frissonnent : il a compris la beauté païenne en écolier sensuel. Raphaël, lui, l’a comprise en maître, c’est-à-dire en penseur, car il en a surtout mesuré, renouvelé et agrandi la puissance expressive. On fait injure à son génie quand on lui impute je ne sais quel paganisme physique. Sa Galatée témoigne qu’entre ses mains la forme païenne renaquit, mais plus animée, plus parlante, plus touchante qu’elle ne le fut jamais, même aux plus beaux jours de la Grèce. Mais c’est dans l’Histoire de Psyché qu’apparaît toute la puissance du type nouveau réalisé par Raphaël. Si ces fresques n’existaient pas, on ignorerait quelle prodigieuse diversité d’états psychologiques il a su traduire à l’aide de la forme humaine telle qu’il l’avait conçue. Ce dramatique poème de Psyché, la sculpture grecque n’aurait pu l’interpréter sans violer ses propres lois, et la peinture grecque ne l’eût pas osé. L’âme y jouait un trop grand rôle pour que l’art païen songeât à en braver les difficultés. Il exigeait aussi un éclat de beauté corporelle que repoussait la rigueur mystique du catholicisme. Il fallait donc là, comme dans le tableau des Trois Grâces et dans la composition de Galatée, rapprocher des élémens presque contradictoires et résoudre ce qu’on pourrait appeler une grave antinomie esthétique.

Raphaël avait trente-trois ans ; son génie était dans la plénitude de la force et sa fin approchait lorsqu’il médita profondément cette fable. Les philosophes disent parfois que l’âme humaine se fait un corps à son image, je dirais volontiers que, dans les fresques de Psyché, l’âme moderne s’est créé un corps idéal et nouveau. Devant cet olympe de Raphaël, j’ai subi, je m’en souviens, une impression comparable à celle que j’avais éprouvée quand je vis pour la première fois les dieux mutilés de Phidias. Pourtant combien de causes sont venues en atténuer le charme et en affaiblir l’éloquence ! Accablé de travaux trop nombreux, le maître a tracé les dessins de ces fresques, mais il en a abandonné l’exécution au pinceau de ses élèves. De plus, exposées aux influences du chaud, du