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et appliquée sur la glande lacrymale du lapin le foudroie presque immédiatement ; la même opération faite dans la gueule du chat détermine chez ce dernier un état nerveux indescriptible. Il s’arrache littéralement la langue à coups de griffe pour se débarrasser de cette saveur odieuse et brûlante, puis les convulsions le prennent, le secouent par bonds prodigieux et le tuent dans une attaque de tétanos. Du reste ce supplice n’est pas long, et en moins de deux minutes la vie, si particulièrement persistante chez les félins, est éteinte. Ce sont là, on peut le croire, des expériences exceptionnelles ; ordinairement le laboratoire est fort calme. Un homme sérieux et réfléchi est penché au-dessus d’un matras et surveille attentivement un mélange bouillonnant que n’auraient point répudié les antiques sorcières de la Campanie ; de jeunes hommes vêtus de longues blouses blanches s’occupent autour de quelque cornue de forme baroque ; par les fenêtres ouvertes, on entend les oiseaux qui chantent sur les arbres du quai d’Orsay ; il y a de la poussière partout, et les araignées, que nul ne dérange, filent paisiblement leurs toiles à l’angle des plafonds.

Dans toute école, il faut un amphithéâtre. Celui de la manufacture du Gros-Caillou est un objet de curiosité. Jamais école primaire d’un hameau perdu dans les Cévennes ou sur les landes de la Basse-Bretagne n’eut mine plus pauvre et plus piteuse. La chaire du professeur est figurée par un fourneau derrière lequel il s’installe sur une chaise de paille ; les élèves se juchent comme ils peuvent sur deux ou trois planches qui représentent les gradins, et où les bocaux, les ballons, les bassines, les thermomètres, leur disputent la place. C’est là qu’on fait aux élèves les cours techniques de chimie, de physique et de comptabilité administrative qui donnent lieu chaque année à des examens sévères. Le cours de mécanique, un des plus importans sans contredit, et auquel d’incessantes découvertes donnent un intérêt majeur, est professé dans une salle qui contient les modèles réduits de toutes les machines employées à la fabrication du tabac. On pourrait croire que, pour rendre cette étude attrayante et lui imprimer un caractère réellement pratique, une machine à vapeur, si modeste qu’elle soit, communique le mouvement à tous ces rouages. Nullement ; mais étudier des machines immobiles, c’est faire de l’anatomie sur des mannequins ; aussi on a imaginé un arbre moteur qu’on met en branle à l’aide d’une manivelle tournée à la main. De cette façon, ce n’est plus la mort, mais ce n’est pas encore la vie. Dans la cour qui précède le laboratoire s’étend le jardin botanique. Les élémens du sol et la culture entrent pour une part énorme dans les qualités constitutives du tabac, il est naturel que les élèves puissent faire sur