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virgines post stupra differto lapillis ac ruderibus utero misère efflarunt animas ! O Dieu, souverain seigneur des cieux et de la terre, détourne de dessus la tête des coupables les justes vengeances qu’appelle tant de sang répandu ! »

Après ce discours, où se montre l’énergie sauvage des têtes-rondes qui ont renversé le trône des Stuarts, l’envoyé fut congédié sans obtenir aucun engagement en faveur des vaudois ; mais la cour se hâta de négocier sous main avec Louis XIV pour n’avoir pas à traiter directement avec un homme aussi redoutable, ni avec les autres envoyés protestans. Le 18 août parut le traité de Pignerol, dit patentes de grâces, rédigé à la hâte par Servient, l’ambassadeur de la France ; traité dérisoire qui, tout en pacifiant les vallées, les laissait en butte aux nouveaux exploits du conseil de la propagande. Les puissances protestantes réclamèrent, et Cromwell recommença son agitation. Il écrivit à Louis XIV, le 26 mai 1656, une lettre irritée dans laquelle il lui dit que ce traité sans garantie n’est pas même exécuté dans ses clauses libérales, et il lui signale des violations nombreuses. « On n’a pas cessé, dit-il, de persécuter ; les sentences contre les bannis ne sont pas rapportées, on construit dans les vallées des forts qui se remplissent de troupes, on invite les catholiques à se retirer de la région vaudoise pour éviter d’être enveloppés dans le nouveau massacre que l’on médite. » Le protecteur signale à l’attention du roi de France l’inconvénient qu’il y aurait pour sa gloire à laisser violer ainsi un traité conclu par son ambassadeur.. « Je conjure votre majesté, ajoute-t-il, de ne pas souffrir de pareilles monstruosités sur votre frontière. Rappelez-vous que ce peuple s’est mis sous la protection de votre grand-père Henri IV, et que le duc de Lesdiguières a trouvé un passage commode dans ces vallées réformées et une base d’opérations très utile à la France. » Il suggère à Louis XIV l’idée singulière d’une cession à la France du versant italien, dans la pensée que cette cession sauvegarderait à toujours l’existence de la population vaudoise en l’arrachant à ses persécuteurs piémontais. Nous verrons dans une dernière étude que cette cession eût produit, si elle s’était accomplie, un résultat diamétralement opposé à celui que Cromwell en attendait. Les vaudois au contraire n’ont échappé à une destruction totale que parce qu’ils n’étaient pas sous la domination du souverain qui a signé la révocation de l’édit de Nantes. Cromwell mourut avant d’avoir pu faire réformer le traité de Pignerol, et la persécution continua. L’Israël de la réformation devait encore passer par des épreuves et des luttes tout aussi dramatiques que celles que nous avons déjà fait connaître avant d’être introduit dans la terre promise de la liberté moderne.


HUDRY-MENOS.