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plus il décréta une somme de 300,000 fr. destinée à l’entretien des ministres vaudois. En France, l’émotion ne fut pas moins intense. La partie protestante de la nation fit comme l’Angleterre, donna au sentiment dont elle était saisie une expression chrétienne, jeûna, pria, leva au ciel des mains suppliantes, et chanta dans les églises le cantique de douleur composé pour la circonstance :


Seigneur, le sang d’Abel
Crie encore…


Une autre corde vibra dans les cœurs français, car l’âme de la France n’est pas exclusivement chrétienne. Dans un morceau de poésie, où l’auteur anonyme décrit la nouvelle Saint-Barthélémy, on sent déjà passer le génie vengeur qui va bientôt inspirer Voltaire et la révolution. La haine et le mépris éclatent contre les gens d’église, contre


Ces moines animés de fureurs infernales,
Marchant en colonels sous les aigles papales,
Dans la crasse du froc volant de rang en rang,
Respirant, croix en main, le carnage et le sang.


Cromwell se fit auprès des souverains protestants et même catholiques l’organe de l’indignation publique. Le 25 mai 1655, il fit partir des courriers porteurs de lettres pour les rois de Suède, de Danemark et de France, pour l’électeur de Brandebourg, le père du premier roi de Prusse, pour le prince de Hesse, les États-généraux de Hollande, pour les cantons protestans de la Suisse, afin de les inviter à réunir leurs efforts aux siens dans l’intérêt des vaudois. Il ne parlait que le latin dans ses rapports avec les puissances, et les lettres sont écrites en cette langue ; on y reconnaît la main de Milton, son secrétaire, latiniste exercé, qui savait donner à sa phrase l’ampleur de la période cicéronienne. Toutes ces lettres font un vif tableau des violences commises et invitent les princes à peser de toute leur influence sur la cour de Turin en faveur du peuple opprimé. Le motif pressant du concours demandé est avant tout d’un caractère religieux : les vaudois sont nos frères dans la foi. Le protecteur laisse percer l’idée que Milton avait exprimée dans son fameux sonnet, savoir que ce petit peuple « avait déjà la vérité pure quand nos pères adoraient encore le bois et la pierre. »


… Who kept thy truth so pure of old
When all our fathers worshipp’d stocks and stones.


Il exprime plus clairement cette idée dans sa lettre aux états-généraux de Hollande. « Si le duc de Savoie, dit-il, se laisse émouvoir par nos prières, nous serons largement récompensés de nos fatigues et de nos démarches ; mais s’il persiste à détruire ce peuple parmi