Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/705

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’aristocratie. Elles se réunissaient chez la marquise de Pianezza, leur présidente, femme d’une beauté égale à son fanatisme, sorte de Simon de Montfort en jupon, qui, ne pouvant tenir l’épée de la foi dans ses mains trop délicates, passait sa vie à faire des collectes pour le fonds de l’association. On la voyait dans les rues arrêtant sa voiture tantôt devant un palais, tantôt devant une taverne, quêtant chez le riche et chez le pauvre pour soutenir l’œuvre de la propagande et les hospices destinés à recevoir les enfans volés aux hérétiques. Pour exciter le zèle de ses compagnes, elle avait toujours dans sa voiture un ou deux de ces petits Mortara vaudois somptueusement habillés, dont elle faisait parade. L’usage d’avoir pour laquais un barbetto, enfant de barbe, qui s’est continué parmi l’aristocratie turinoise jusqu’à la révolution de 1789, date de la célèbre marquise, qui le mit à la mode. Son zèle orthodoxe pour les petits enfans en avait fait la terreur des dissidens, et encore aujourd’hui la mère vaudoise ne parle de la terrible Pianezza qu’en serrant son fils contre son cœur. Nous avons entendu raconter sous la chaumière des Alpes la légende effrayante de sa mort. Elle voyait des flammes monter rouges autour de son lit. « Élevez-moi ! élevez-moi ! encore ! encore ! » criait-elle à ses serviteurs, et ceux-ci tiraient la poulie qui tenait son lit suspendu au plafond. Quand l’accès était passé, on la redescendait doucement ; mais aussitôt que le lit touchait le parquet, la frayeur des flammes éternelles la saisissait de nouveau, et il fallait recommencer l’ascension. C’est ainsi qu’elle mourut, déjà la proie, ajoute la légende, du ver qui ne meurt point et du feu qui ne s’éteint point. La plupart des grands persécuteurs des vaudois ont laissé des traces profondes dans l’imagination populaire, qui nous les montre éprouvant dès cette vie l’effet des vengeances divines. Ce peuple croyant n’a pu concevoir que Dieu ait laissé vivre et mourir naturellement des hommes qui lui ont fait tant de mal.

C’est sous la pression de ce milieu d’intolérance que le duc signa l’édit de janvier qui refoulait les vaudois dans leurs vallées étroites. Dans l’espérance qu’il y aurait des résistances armées, le conseil de la propagande obtint de Charles-Emmanuel, alors allié de la France contre l’Espagne, un ordre verbal pour loger dans la région vaudoise quatre régimens français de l’armée de Lombardie sous le commandement du maréchal de Grancey et une troupe d’irréguliers irlandais à la solde de Louis XIV. Pendant que ces régimens s’avancent sur les vallées pour y prendre leurs quartiers d’hiver, des émissaires venus de Turin se répandent parmi les vaudois et leur persuadent que ces étrangers arrivent contre la volonté du prince et qu’il faut leur barrer le passage. Les religionnaires, croyant obéir à leur souverain, se mettent bravement sur la défensive et