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d’abjuration. On regrette que la cour de Turin soit entrée de compte à demi dans ce commerce odieux par l’exemption d’impôts accordée à ceux qui vendaient ainsi leur conscience. La régente de Savoie, Christine de France, fille d’Henri IV, qui ne ressemble guère à son glorieux père que par ses mœurs légères, fit une loi expresse pour exempter des tailles les vaudois qui se feraient catholiques[1], et pour assurer l’exécution de la loi elle confia aux moines la perception des impôts dans la région hérétique.

Avec la plaie des sauterelles, pour parler le langage du controversiste, les vaudois eurent à supporter la peste, la famine et des avalanches terribles. En 1629, la récolte ayant manqué sur tout le versant italien, les curés de la plaine défendirent à leurs fidèles de donner du travail aux vaudois qui venaient offrir leurs services pour quelques boisseaux de blé. La même année, le 23 août, vers huit heures du matin, un déluge s’abattit sur les cimes du Julian, et remplit les deux côtés de la montagne, les vallées de Saint-Martin et de Luserne, d’un effroyable débordement d’eau, de terres, de gravier et de blocs de rochers. L’année suivante, la peste noire, ainsi appelée à cause de la couleur sombre du nuage épais qu’un vent sec et froid amassait contre les Alpes, enleva tous les barbes, à l’exception d’un seul, de l’historien Gilles, et il fallut les remplacer par des ministres de langue française. C’est depuis cette époque que le français a envahi la prédication et la liturgie vaudoises, et fait disparaître le dialecte de la Nobla Leyczon avec les derniers vestiges de l’ancien valdisme. Les hommes et la nature semblaient avoir décrété la destruction de la secte antique ; mais elle avait la vie dure, et, tout en paraissant mourir chaque jour, comme parle saint Paul, elle vivait néanmoins pour prouver qu’il est une force qui triomphe de toutes les tyrannies. Chacune de ses souffrances retentissait douloureusement dans la conscience du monde protestant, et la sympathie générale s’appliquait à fermer ses blessures, opposant les collectes et les secours de l’Angleterre, de la Hollande et de la Suisse aux monts-de-piété des moines, aux fonds de conversion des seigneurs et des grandes dames du Piémont.

C’est ainsi que le valdisme renouvelé a traversé la période qui s’est écoulée depuis le traité de Cavour jusqu’en 1655, période terrible pour les autres églises de la réformation, marquée en France par la Saint-Barthélémy, en Hollande par les exterminations du duc d’Albe et du prince de Parme, en Allemagne par les grandes guerres de religion. On peut dire que les vaudois, malgré toutes

  1. « Per dar animo, dit la régente dans son édit du 2 janvier 1642, à tutti i sudditti heretici di catholizarsi, vogliamo ed espressamente commnndiamo che tutti quelli che sono venuti nel passato e che verrano à l’avenire à la santa fede, godano dell’ esenzion ed immunità d’ogni qualunque carico reale e personale. »