Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/700

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

1560, et au printemps, voulant frapper le grand coup, il fit donner l’assaut à la forteresse naturelle du Prà del Tor. C’est là qu’il rencontra la première résistance sérieuse. Acculé dans sa dernière retraite, le petit peuple se dépouilla tout à fait de ses anciennes objections et de ses anciens scrupules sur le droit de défense et d’effusion du sang ; au lieu de ces timides fuyards que le comte espérait prendre d’un coup dans la gorge du Prà del Tor, il rencontra des héros qui repoussèrent victorieusement quatre assauts successifs. Dans le dernier, l’armée vaincue se retira en désordre jusqu’à la Rocca di Cavour, sur la plaine de Saluces. Les catholiques, qui souffraient de cette guerre presque autant que les dissidens, s’étonnaient en voyant la déroute des croisés qu’ils ne fussent pas poursuivis dans leur fuite par les vaudois ; « mais, dit Gilles, les principaux chefs et surtout les ministres ne voulurent pas consentir à cette poursuite, car ils avaient décidé dès le commencement que, lorsqu’ils seraient forcés de se défendre par les armes, on se tiendrait toujours dans les limites de légitime défense tant par respect des supérieurs que pour épargner le sang humain. »

D’où venait aux vaudois cette ardeur nouvelle, ce courage et cette intrépidité ? Que s’était-il donc passé pendant l’hiver ? Un grand événement : l’esprit guerrier de la réformation française avait soufflé à travers les Alpes. Les huguenots français ont formé de bonne heure un parti armé dans la nation. Ce fut leur force, et en même temps ce fut leur faiblesse. Devenue un parti politique, la réformation française ne puisa point dans cette attitude belliqueuse une plus grande force d’expansion ; au contraire, elle s’arrêta court devant une force supérieure de même nature, devant la majorité catholique. Au lieu d’une guerre de l’esprit où l’ancienne foi aurait été probablement vaincue, elle ne fit plus qu’une guerre de soldats où le petit nombre devait nécessairement succomber. Les chefs religieux s’étaient d’abord énergiquement opposés aux prises d’armes ; mais tous leurs conseils devinrent inutiles, car c’est la fatalité de la France que toute idée lancée, même celle de paix, se transforme en instrument de guerre. Ce tempérament belliqueux se communiqua pendant l’hiver aux anciens vaudois. En voyant leurs frères, ou plutôt leurs pères du versant italien voués à la destruction, les protestans des vallées françaises passèrent les cols de la montagne au milieu des neiges, et vinrent organiser la défense et souffler leur ardeur aux persécutés. Au fond de la vallée du Pellice est une montagne appelée le Puy. C’est là, le 21 janvier 1561, sous une neige qui tombait à gros flocons, que les délégués des deux versans jurèrent sur la Bible une alliance éternelle. « Au nom des églises vaudoises des Alpes, du Dauphiné et du Piémont, qui ont toujours été unies et dont nous sommes les représentans, nous promettons