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jusque-là au palais fut remplacé par la langue usuelle, le français à Chambéry et l’italien à Turin. En courbant sous la loi commune les plus hautes têtes de la féodalité et de l’église, ils ont aplani les chemins à la maison de Savoie, rentrée en 1559 en possession de ses états par le traité de Cateau-Cambrésis ; mais ils ont laissé aussi des souvenirs sinistres de condamnations à mort pour crime d’hérésie, tombées en grande partie sur les missionnaires sortis de la terre vaudoise. Ces deux compagnies judiciaires semblent s’être donné pour mission d’isoler le foyer des barbes et d’empêcher que l’incendie ne se communiquât aux pays subalpins. Placé entre Genève, qui venait d’embrasser la réforme, et les Alpes, le parlement de Chambéry arrêtait au passage et brûlait impitoyablement les religionnaires qui se rendaient d’un point à l’autre. Les jeunes gens des vallées vaudoises allaient étudier la théologie aux écoles de Genève et de Lausanne, car l’école du Prà del Tor ne répondait plus aux besoins nouveaux, et de la Suisse partaient sans cesse des touristes zélés pour visiter les retraites de l’église primitive. La route la plus directe était par la Savoie. Nous savons par un procès fameux jugé en 1555 à Chambéry qu’ils entraient dans la vallée de l’Arve, qui appartenait alors en grande partie à la Suisse, et que, tournant au midi à la hauteur de Bonneville, ils s’engageaient dans le massif de montagnes qui sépare cette vallée du bassin de l’Isère, franchissaient les cols de la Maurienne et du Briançonnais, et parvenaient sur le versant italien. Au mois de juin de cette année 1555, une caravane composée de cinq ministres et d’un néophyte piémontais suivait cette route à petites journées, évangélisant les bergers des hauts pâturages, couchant la nuit dans les chalets et y laissant discrètement leurs enseignemens et leurs livres religieux. Ils ne se doutaient pas que les gens du parlement, avertis de leur entrée dans la partie française de la Savoie, les attendaient au col de Tamié, au débouché des Beauges, sur la vallée de l’Isère. Arrêtés, conduits à Chambéry, ils furent condamnés, par sentence du 17 août, à être brûlés après strangulation, selon la jurisprudence des parlemens de Chambéry et de Turin, adoucissement à la jurisprudence antérieure, qui brûlait vif. Rien ne put les sauver de la mort, ni les représentations diplomatiques de Genève et de Berne, ni la requête que les condamnés adressèrent au roi de France. Leurs réponses aux juges civils et ecclésiastiques avaient été claires, sans tergiversation : ils avaient énergiquement réprouvé la foi du pape et confessé celle de l’église primitive. On avait de plus trouvé sur eux un corps de délit qui suffisait alors pour conduire au feu celui qui en était porteur, savoir une lettre de l’homme extraordinaire qui avait fait de Genève le quartier-général de la réformation. Devant cette preuve accablante, le parlement n’hésita point, et la