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entre la doctrine esthétique du Banquet et la pensée qui a guidé le peintre des Grâces, de Galatée et de Psyché, il est impossible de ne pas remarquer plus d’une frappante ressemblance. Parmi les sujets antiques, Raphaël s’arrête naturellement à ceux qui se rattachent aux mouvemens et aux passions de l’âme. Avec une pénétration prodigieuse, qui est comme une seconde vue, il en saisit le sens le plus beau, et excelle surtout à en traduire les aspects sympathiques. Enfin il s’exprime au moyen de formes presque toujours nues, moins régulières peut-être et moins abstraites que les formes grecques, mais cependant puissantes, exquises, originales et merveilleusement pures.

Le tableau des Trois Grâces en est une première preuve. Sur cette page de la vingtième année de Raphaël, comme sur tout ce qui a trait à sa jeunesse, les détails biographiques sont d’une extrême rareté ; mais l’histoire de ce joyau de l’art est écrite par la main même du peintre dans le dessin qui en fut le germe et qui appartient aujourd’hui à l’Académie des Beaux-Arts de Venise. En 1503, Raphaël était venu à Sienne travailler avec Pinturicchio aux peintures de la bibliothèque de la cathédrale. Au milieu de cette libreria était alors le groupe antique des Trois Grâces, rendu à la lumière depuis le XIIIe siècle et rayonnant de jeunesse et de fraîcheur malgré ses mutilations et ses blessures. Le dessin à la plume de l’Académie de Venise nous apprend que Raphaël, un jour qu’il était enfermé dans la bibliothèque, avait commencé par esquisser une figure drapée de sainte. Son éducation chrétienne et le souvenir des leçons du Pérugin le dominaient encore. Cependant la beauté grecque était là, exerçant sur les regards et sur l’âme du jeune homme une mystérieuse attraction. Combien de temps résista-t-il à cet appel ? Combien dura le combat qu’il eut à soutenir contre le pouvoir des trois enchanteresses ? Ce qu’il y a de certain, c’est que la sainte fut abandonnée pour ses rivales. Raphaël retourna la feuille, et sa plume traça sur le verso, d’après le marbre païen, un croquis où du premier coup, en dépit d’une inexpérience évidente, son génie prit possession de la forme plastique et nue et la marqua de son empreinte personnelle. Un an plus tard, le dessin devint tableau et se changea en cette miniature peinte à l’huile sur un panneau de sept pouces qui est une des grandes choses de l’art moderne. Qu’on la contemple en Angleterre dans la collection de lord Ward, ou que, sans passer le détroit, on se contente de l’étudier dans la fine et moelleuse gravure de M. Forster, cette création proclame avec éloquence que la complète nudité peut devenir le signe esthétique éclatant et parfait de la beauté morale. Les Trois Grâces du Sanzio sont des âmes naïves, innocentes et tendres dans