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par les nouveaux protestans. c’est celui de se découvrir franchement devant l’adversaire, qui rencontra les plus vives résistances. La secte se transforma sans beaucoup de difficulté, comme nous le verrons bientôt, elle prit rapidement les mœurs religieuses et les formules dogmatiques de la reformations et se dépouilla rapidement de celles qui n’étaient pas conformes à la règle nouvelle ; mais quand il s’agit de ne plus se cacher et de ne plus dissimuler, elle hésita, elle se troubla, et il fallut, pour l’y décider, faire violence au caractère montagnard, déjà naturellement replié sur lui-même, dont le ressort était d’ailleurs détendu par le poids d’une longue oppression. Les réformateurs ne s’arrêtent pas aux timides objections vaudoises, ils n’ont égard ni à la faiblesse numérique de la secte, ni à son isolement au milieu de populations ennemies. Ces considérations, dictées par une prudence qu’Écolampade appelle humaine, n’ont aucune prise sur l’esprit de la protestation nouvelle, qui a derrière elle des peuples et des souverains déjà gagnés. La croyance n’est plus indécise et flottante comme celle des vaudois. Celle-ci se marie encore sur quelques points avec la croyance romaine, cherche à faire avec elle bon ménage en dissimulant ses incompatibilités ; mais l’autre est un dogme défini par des confessions de foi d’une précision en quelque sorte mathématique, ne présente plus qu’un front hérissé et ennemi à la grande église.

On connaît les dogmes de la réformation. Il est maintenant passé de mode d’affecter de ne voir dans ce grand mouvement religieux qu’une simple négation et une révolte de la raison. La critique sans parti-pris y trouve au contraire une explosion de foi comme le monde n’en avait pas vu depuis les jours du Christ et de ses apôtres, une affirmation puissante, violente même, sur certaines doctrines de l’Évangile que l’enseignement de l’église avait laissé obscurcir dans la conscience catholique. C’est surtout sur le mode du salut chrétien que la réformation des premiers jours a poussé l’affirmation dogmatique jusqu’à l’exagération. Le mode enseigné par Paul aux églises qu’il avait plantées en terre grecque, dans l’Asie-Mineure et en Europe, retenu par les trois premiers siècles, vaguement entrevu par les sectaires du moyen âge, ce mode, qu’on a appelé la justification par la foi, avait complètement disparu de l’enseignement officiel au XVIe siècle devant la doctrine du salut par les œuvres et les pratiques- dévotes. Le nouveau mode n’intéressait pas seulement la théologie, comme on serait porté à le croire ; il a eu au point de vue social et économique des conséquences incalculables. L’acte spirituel et libre une fois éliminé de la religion par l’acte matériel, par l’opus operatum, comme disent les théologiens, le monde s’est rué dans les œuvres commandées par l’église pour acquérir le salut, et ces œuvres sont devenues la