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commencent à se répandre, et qu’il n’est pas rare aujourd’hui de voir en certaines régions agricoles des perchoirs établis à dessein, où les patiens oiseaux de nuit se posent pour guetter leur proie.

Les avis des agronomes sur le compte de la taupe sont encore partagés : les uns la regardent comme nuisible à la culture, les autres comme indispensable à la conservation des récoltes. Peut-être en est-il des taupes comme des moineaux : il serait aussi imprudent de les détruire tout à fait que d’en laisser le nombre s’accroître trop rapidement. Ce qu’il y a de certain, c’est que la taupe fait une grande consommation de lombrics et surtout de hannetons sous les quatre états qu’ils présentent successivement dans leurs métamorphoses : œufs, nymphes, larves et insectes adultes. Elle détruit encore un grand nombre d’insectes nocturnes, car c’est la nuit qu’elle va aux provisions. Les défenseurs de la taupe prétendent aussi que les galeries sinueuses qu’elle trace constituent une espèce de drainage, aèrent et assèchent le sol. D’un autre côté, ces galeries ont le tort de déchausser les racines des plantes, dont la nutrition se fait alors moins bien, et les taupinières volumineuses dont ces petits mammifères parsèment les champs qu’ils hantent contrarient la végétation et gênent le travail des moissonneuses mécaniques. Aussi certains propriétaires ont-ils à leur solde des taupiers chargés de détruire jusqu’au dernier ces fouilleurs souterrains. Il nous semble que c’est aller trop loin ; les reproches qu’on adresse aux taupes ne deviennent fondés qu’autant qu’elles se propagent d’une manière excessive, et c’est peut-être prendre un parti extrême que de se priver radicalement de l’intervention de ces insectivores.

Du reste nous croyons avoir indiqué un ensemble de méthodes propres à nous débarrasser assez promptement, si elles sont appliquées avec ensemble et vigueur, des larves les plus nuisibles. En Suisse, des règlemens spéciaux, plus rigoureusement obligatoires que l’échenillage chez nous, ont à peu près fait disparaître le hanneton, dont les dégâts étaient devenus redoutables. En France, des mesures administratives générales, des concours spéciaux, l’établissement de récompenses honorifiques, que l’on ne dédaigne nullement dans les campagnes, contribueront sans doute efficacement à enrayer la marche de ce fléau inattendu. Avant tout, c’est à l’initiative individuelle, stimulée par un intérêt de premier ordre, qu’il faut s’en remettre pour extirper les causes d’un mal qu’ont aggravé les perfectionnemens mêmes de l’industrie agricole contemporaine, et qui pourrait, si l’on n’y prend garde, en arrêter les progrès.


PAYEN.