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Desportes et tous les autres. Chacun alors, dans la lutte engagée, payait sa dette à sa manière et bataillait comme il lui semblait bon, les uns en philosophes, les autres en biographes. La querelle ne faisait que de naître, il restait tant de lances à rompre !

Vingt ans plus tard, tout était clos : la lice était déserte, les lutteurs au repos. Il ne s’agissait plus d’établir à grand’peine la légitimité de certains procédés, de certaines licences en matière de césure ; les nouveaux téméraires étaient amnistiés, les vieux maîtres réhabilités : que restait-il à faire ? Une génération nouvelle, s’avançant à son tour, découvrit dans la mine un filon vierge encore. L’histoire domina tout, l’histoire et l’érudition. C’étaient des jeunes gens rompus pour la plupart aux études paléographiques, nourris de manuscrits, se jouant avec le XVIe siècle, intimes avec le XVe, et possédant leur moyen âge tout entier, non par ouï-dire et sur la foi d’autrui, mais pour l’avoir pratiqué, exploré eux-mêmes et de leurs yeux. On ne sait pas assez tout ce que cette jeunesse a tenté et produit depuis douze ou quinze ans, tout ce qu’on lui doit de solides recherches sur nos vieux écrivains, tout ce qu’elle a fouillé, comparé, critiqué, tous les textes, les uns presque ignorés, les autres mal connus, qu’elle a ou rétablis ou accompagnés d’utiles commentaires. Ce qu’il y a de particulier, c’est que la plupart de ces jeunes gens, aujourd’hui presque mûrs, sont hommes d’imagination non moins que de labeur, et que, s’ils se piquent d’exactitude à toute épreuve dans leurs essais philologiques, ils ne sont pas sans caprice et sans aventure dans leurs propres compositions. Aux premiers rangs de cette phalange, érudite et fantaisiste tout ensemble, nous avons à plus d’une reprise remarqué M. Charles d’Héricault. Peut-être est-il connu moins par le savoir qu’il possède, et dont il a fait preuve comme éditeur et comme commentateur, que par d’assez nombreux romans, peintures fidèles de certains coins de notre, vieille France, semés de scènes heureusement conçues où se trahit avec un rare esprit d’observation l’art de mettre en lumière les mœurs et les caractères. Tout n’est pas éphémère et seulement destiné au plaisir des oisifs dans ces fictions normandes : si rapidement qu’elles aient pu être écrites, elles ont le caractère d’un travail sérieux, et nous nous gardons bien d’en faire trop bon marché. Elles manquent peut-être un peu d’abandon et de simplicité, l’auteur ne se résout pas toujours à faire assez de sacrifices, il voit à la fois trop de choses et se tient trop pour obligé de les dire toutes et de n’en rien omettre ; mais la plupart du temps il les dit avec art, en termes où se révèlent une vraie connaissance et un sentiment vif de l’esprit de notre langue. Nous n’en devons pas moins laisser à qui de droit, au public, au vrai juge de ces