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n’oublia pas de faire enlever au saint-père son humble anneau du pêcheur. C’était de sa part une idée fixe. Déjà il avait écrit à plusieurs reprises à Rome pour qu’on recherchât cet anneau partout, et qu’on l’envoyât à Paris ; mais on ne l’avait pas trouvé. Cette fois on espérait bien être plus heureux. Nouvelle déception, l’anneau du pêcheur avait été renfermé par Pie VII dans le sac de peau où Mgr Doria avait mis l’argent provenant du denier de saint Pierre. On avait rendu, sans y regarder, et le sac et l’argent, et par conséquent l’anneau à Pie VII. Quand le prince Borghèse s’aperçut de sa fâcheuse méprise, il donna les ordres nécessaires pour que l’on se procurât à tout prix cet anneau, sans toutefois employer la violence, s’il se trouvait dans les mains du pape ; mais Pie VII ne le portait pas à son doigt : on ne l’avait vu nulle part. Le capitaine de gendarmerie La Gorse se décida alors à le demander simplement au saint-père.

Jusque-là, Pie VII n’avait pas montré la moindre apparence de mauvaise humeur. Aux reproches de M. de Chabrol, qui a bien soin d’assurer dans sa correspondance qu’il a littéralement répété au souverain pontife les propres expressions de l’empereur, et qu’il a notamment, aux termes de ses instructions, traité sa sainteté de pape ignorant de ce que l’on doit aux souverains [1], Pie VII n’avait jamais répondu qu’avec la plus extrême douceur. « Il est inutile, avait-il dit, de revenir continuellement sur des choses qui lui avaient déjà été tant de fois signifiées ; si on le privait de l’exercice de la puissance spirituelle qui lui appartenait, cet état de choses ne durerait qu’aussi longtemps qu’il plairait à la Providence de le maintenir. Pour lui, il était résigné à tout, et, s’il ne trouvait pas sa récompense dans ce monde, il la trouverait dans l’autre…[2]. » On peut remarquer, ajoute M. de Chabrol, qui rapporte les paroles textuelles du pape, qu’il ne répond à tout que par une résignation et une indifférence véritablement extraordinaires sur son sort… Mais à la réquisition du capitaine La Gorse Pie VII, jusque-là inébranlable, se sentit profondément ému. Était-ce ressentiment de ce dernier et incompréhensible affront ? Était-ce crainte qu’on ne fît un usage frauduleux du sceau du pêcheur, qui d’ordinaire sert à revêtir les actes les plus importans émanés du chef de l’église catholique ? Toujours est-il qu’après un peu d’hésitation le pape remit son anneau au capitaine de gendarmerie ; mais il avait pris auparavant la précaution de le briser en deux, et ce fut dans cet état que le prince Borghèse le fit parvenir à l’empereur[3].

  1. Lettre du baron de Chabrol à M. Iè comte Bigot de Préameneu, 2 février 1811.
  2. Ibid.
  3. Lettre du prince Borghèse à l’empereur Napoléon, 14 mars 1811. — À la suite de la copie de la lettre du prince Borghèse, dont l’original doit avoir été conservé dans les archives impériales, se trouve cette note. « L’original, avec l’anneau coupé en deux morceaux, a été remis le 14 avril 1814 à M. Giry pour être porté à M. Beugnot, commissaire de l’intérieur et des cultes. »