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anciens temps avait persisté sous le régime nouveau ? Depuis la signature du concordat, comme sous l’ordre de choses qu’il avait remplacé, le chef de l’état était assuré de rencontrer toujours un cordial appui auprès du corps nombreux des fonctionnaires publics, parmi les classes éclairées, et jusque dans les rangs inférieurs de la population chaque fois qu’il aurait à repousser quelque entreprise téméraire ou seulement quelque prétention hasardée du saint-siège. Autant qu’aucun des souverains ses prédécesseurs, Napoléon avait conscience de la force qu’il puisait dans ce sentiment presque unanime de la nation qu’il gouvernait, et mieux que pas un d’eux il avait su s’en prévaloir dans ses rapports avec le Vatican. Pie VII était bien loin d’ignorer cette tendance des populations françaises à épouser volontiers la cause de leur gouvernement contre les prétentions ultramontaines ; il avait même eu soin d’en tenir grand compte lorsque s’étaient élevées en 1807 les difficultés dont nous avons déjà parlé au sujet de l’institution canonique des évêques italiens[1]. Après avoir maintenu doctrinalement son droit strict de ne pas instituer les évêques choisis par Napoléon aussi longtemps qu’il n’aurait pas de son côté exécuté lui-même loyalement les autres clauses du concordat italien, le pape s’était, on s’en souvient, vite empressé de transiger en offrant d’assigner aux sièges vacans de l’autre côté des Alpes les mêmes pasteurs qui avaient été l’objet des préférences du gouvernement impérial. Nul doute, à notre sens, qu’en se résignant de bonne grâce à cette sage concession, Pie VII, outre la longanimité dont il était en toute occasion bien aise de donner les preuves les plus signalées, ne fut alors décidé par cette sage réflexion qu’il risquerait de heurter inopportunément l’opinion du public français. Il avait très raisonnablement considéré que, s’il devait par conscience s’armer un jour de son omnipotence spirituelle et refuser les bulles d’institution canonique aux évêques choisis par l’empereur, il serait souverainement imprudent de recourir à une mesure aussi grave par suite des difficultés survenues dans la mise à exécution du concordat italien. À risquer telle chose qu’une rupture ouverte, il valait mieux qu’elle éclatât au sujet des affaires religieuses de la France, pour des motifs d’une importance extrême et facilement appréciables. Ces circonstances indispensables au succès moral de la lutte qu’il lui incombait de soutenir contre son terrible oppresseur étaient maintenant complètement réunies ; Pie VII se sentait soutenu cette fois non-seulement par l’adhésion du clergé de ses anciens états et du royaume d’Italie, mais aussi par les ecclésiastiques de tous les pays, y compris même, quoiqu’ils n’osassent pas s’en exprimer tout haut, ceux

  1. Voyez la Revue du 1er décembre 1867.