Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/549

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fonder des écoles, des livres pour les bibliothèques, des vases sacrés, des ornemens pour la célébration du culte. L’impératrice soutient une école de jeunes filles à Savayevo ; quand les raïas sont victimes de quelque injustice par trop criante, l’empereur réclame pour eux. Ainsi donc, tandis que les autres puissances compriment, comme le dit lord Stanley, l’essor des populations yougoslaves, la Russie le favorise en encourageant tous les progrès de la civilisation. Et l’on s’étonne qu’elles se montrent reconnaissantes envers la Russie, tandis qu’elles se défient de l’Angleterre et de la France, et détestent l’Autriche ! Un enfant a deux protecteurs : l’un le rudoie et le maintient dans la misère et l’ignorance, l’autre le caresse, l’instruit et s’efforce d’en faire un homme. Aurez-vous lieu de vous indigner quand il s’éloignera du premier pour s’attacher au second ? On fait juste ce qu’il faut pour susciter le panslavisme, et quand il apparaît, on le couvre d’injures et de malédictions, ce qui exaspère le mal sans le guérir. Détruisez les causes, et le mal se dissipera.

Si la Hongrie établissait avec la Russie, non une stérile et irritante lutte d’influences à Constantinople, mais une généreuse et féconde rivalité au-delà du Danube à qui rendrait aux raïas le plus de services, la Hongrie l’emporterait certainement dans ce concours dont le prix serait la reconnaissance d’un peuple malheureux et qui ne mérite pas de l’être. D’abord elle trouverait un moyen d’action infaillible, irréprochable et prompt dans le développement intellectuel et matériel de la Croatie satisfaite, qui deviendrait un foyer rayonnant partout où se parle l’illyrien. En second lieu, le plan qui a le plus d’adhérens au sud du Danube est celui qui consiste à fonder une puissante fédération par l’union avec les Hongrois et les Moldo-Valaques. En troisième lieu, la proximité, la frontière commune du Danube et de la Save, font naître des nécessités géographiques dont il est impossible de ne pas tenir compte. Enfin, raison plus forte que toutes les autres, la Hongrie représente la liberté, et la Russie le despotisme. Le génie des Slaves les porte à des institutions républicaines, communistes et fédératives, à des autonomies locales, et si jusqu’à présent ils ont été partout asservis, c’est justement parce qu’ils ont manqué de cohésion. La Russie au contraire est le modèle le plus achevé de la centralisation mise au service du despotisme. Aussi quand Pierre le Grand a introduit ce régime dans son empire l’a-t-il emprunté non aux traditions de la race slave, mais aux exemples des royaumes latins, et c’est au moyen d’Allemands qu’il l’a appliqué et que ses successeurs l’ont maintenu. C’est donc faute d’autres alliés et en oubliant de naturelles antipathies que les Yougo-Slaves