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d’instruction, et partout où s’établit une école, fût-elle ouverte par les missionnaires américains ou écossais, ils y envoient leurs enfans. Les ballades patriotiques des Serbes sont chantées partout. Le travail se fait mieux, le goût de l’épargne s’introduit ; sans la crainte du fisc, l’aisance suivrait. Les Bulgares, chez qui un peu de sang touranien se mêle au plus pur sang slave, forment un peuple modèle. Ils sont très laborieux, très propres, honnêtes, chastes, persévérans ; on ne leur fait qu’un reproche, c’est d’être trop doux et trop soumis. Le Serbe, comme le Monténégrin, est plus belliqueux, plus avide d’indépendance, plus occupé de politique ; c’est de lui que part l’agitation nationale dont les flammes contenues agitent toute la péninsule. L’isolement dans lequel vivent ces peuples, par suite de la difficulté des communications, arrête leur progrès et prolonge leur repos ; mais que le chemin de fer récemment concédé[1] de Belgrade à Constantinople, avec embranchement sur Salonique, se construise, et l’émancipation des Yougo-Slaves de la Turquie, certaine en tout cas, est hâtée d’un demi-siècle. Les étonnans progrès accomplis par la Serbie indépendante dans l’espace de dix ans montrent tout ce que l’on peut attendre de ces populations intelligentes, et le jeune Milano, élevé au foyer d’un philosophe français, ne sera pas moins utile à son pays que l’infortuné prince Michel.

La Hongrie ne peut rester indifférente à ce grand mouvement qui s’accomplit sûr sa frontière et qui intéresse à un si haut degré plusieurs de ses provinces ; mais que fera-t-elle ? S’y montrera-t-elle hostile, comme elle l’a fait jusqu’à ce jour ? Elle ne parviendrait pas

  1. Cette ligne de chemin de fer vient d’être concédée à une compagnie belge par l’entremise d’un magnat hongrois sans cesse occupé de tout ce qui intéresse le développement matériel de son pays, M. le comte Edmond Zichy. L’année dernière déjà, M. J. von Hahn, consul d’Autriche en Grèce, avait publié une étude extrêmement instructive sur cette ligne, qui ne peut manquer de devenir l’une des grandes artères du commerce européen. Pour toute l’Europe centrale, ce sera la ligne la plus courte vers Alexandrie et l’Inde. Prolongée, jusqu’au Pirée, elle l’emporterait sur Brindes, même pour un voyageur partant de Londres. Il y a d’Alexandrie au Pirée 511 milles marins, à Salonique 679, à Brindes 835, à Trieste 1,237, à Marseille 1,425. Salonique est donc plus rapprochée d’Alexandrie que ne l’est Marseille de 755 milles. Un vapeur faisant environ 10 milles marins à l’heure, la malle arriverait a Salonique 75 heures plus tôt qu’à Marseille et à Londres avant de toucher ce dernier port. Avec le prolongement jusqu’au Pirée ou jusqu’à Monembasia dans le Péloponèse, a 482 milles de l’Égypte, l’avantage devient encore bien plus notable. Pour les trajets rapides, il faut gagner la terre le plus tôt possible. L’ouverture de cette magnifique voie, dit M. von Hahn, ferait de Pesth et de Belgrade les principales étapes du commerce avec l’Orient, et rendrait la vie a toute la Turquie d’Europe. Par Constantinople, la Mer-Noire, le chemin de Tiflis à Poti en construction, la mer Caspienne et par une voie ferrée à ouvrir le long du Syr-Daria, en. moins de quinze jours on irait aux Indes. Si nous étions aux États-Unis, il ne faudrait pas quatre ans pour réaliser ce rêve.