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La puissance des prêtres est bien grande partout, principalement chez les peuples encore jeunes. Ils sont ses véritables, ses seuls instituteurs, dans toute la force de ce beau mot. Ils entrent dans toutes les demeures ; ils y pénètrent à l’instant où les plus graves événemens de l’existence, la naissance, le mariage, la mort, attendrissent l’âme humaine ; ils ont à parler non de ce qui nous courbe vers la terre, des soucis de la vie matérielle, mais de ce qui nous transporte dans la sphère des idées générales et des intérêts spirituels. Sortis du peuple, ils se servent de sa langue ; ils savent quels sont ses préjugés, ses passions, ses vœux ; ils connaissent de près chaque famille, et n’ignorent pas quel est le mobile qui doit déterminer ses résolutions. Le poète lance le mouvement national, l’homme d’état en formule les exigences ; mais le prêtre lui conquiert le peuple. C’est pour ce motif que dans ces derniers temps, en Autriche, on trouve partout des évêques à la tête du mouvement des nationalités : en Bohême et en Moravie, les évêques de Prague et de Brünn, mais ceux-ci ultramontains et n’appuyant l’agitation tchèque que pour faire opposition au ministère libéral, en Transylvanie, Tchaguna, évêque du rite grec, travaillant à réveiller les Roumains, enfin Strossmayer entraînant les Yougoslaves, sans refuser l’appui même des popes serbes. Le séminaire est en tout pays un centre d’action formidable, parce qu’on y forme des hommes réunissant deux qualités qui s’excluent d’ordinaire, l’obéissance passive d’un caporal de Frédéric II et l’enthousiasme fanatique d’un séide de Mahomet. C’est dans les séminaires que le mouvement des nationalités a puisé cette force d’expansion qui le répand partout dans le bassin du Danube. Heureux les peuples dont les prêtres favorisent les progrès ! Ceux à qui manque ce privilège auront bien de la peine à voir leurs vœux s’accomplir. Le despotisme appuyé sur l’église est un obstacle qu’on ne renverse qu’au prix d’efforts si violens, qu’ils dégoûtent de la liberté toute nation qui n’éprouve pas pour elle cet amour plus fort que la mort dont parle l’Écriture.

Depuis l’an dernier, des incidens nouveaux ont fait entrer la question croate dans une phase d’apaisement. La diète récalcitrante de 1867 a été dissoute et la loi électorale modifiée par un rescrit royal, contrairement aux droits du pays, disent les Slaves. Le gouvernement n’a pas hésité à faire usage de son influence, et le résultat a été qu’il a obtenu la majorité au sein de la nouvelle assemblée. Seize députés de l’opposition ont déposé une protestation contre les actes illégaux du ministère et se sont retirés ensuite, laissant leurs places vacantes. La diète a nommé une délégation qui, réunie à une autre délégation de la diète hongroise, vient d’arriver, il y a