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recours à la force devient moins nécessaire ; espérons qu’elle sera inutile pour résoudre la question des nationalités. Les deux états que celle-ci menace surtout sont la Turquie et l’Autriche. C’est, en Autriche que nous allons l’étudier, en commençant par ce qui concerne les Slaves méridionaux.


I

On prétend qu’on trouve en Autriche vingt nationalités différentes et dix-huit idiomes. Ces nombres donnent lieu à d’interminables discussions, car en ethnographie on n’est pas plus d’accord sur la classification des races qu’on ne l’est en botanique sur celle des espèces et des genres. Le fait est qu’en visitant l’empire-royaume on rencontre, sans pousser les distinctions à l’extrême, des Allemands, des Italiens, des Hongrois, des Tchèques, des Polonais, des Ruthènes, des Slovaques, des Slovènes, des Croates, des Serbes, des Bulgares, des Cumans, des Jazigues, des Szeklers, des Uscoques, des Chkipétars, des Saxons-Flamands, des Roumains, des Arméniens, des Schokatzes, des Wendes, des Grecs, des Tchiganes, des Juifs, des Morlaques, des Wallons et jusqu’à des Français, colonies perdues dans le Banat. Voilà certes une collection assez riche des variétés de l’espèce humaine. Il y a de quoi ravir le philologue et désespérer le politique. Un Mezzofanti y trouverait son compte, mais on conçoit que M. de Beust n’y trouve point le sien. Il n’est guère possible que le souverain s’entretienne jamais avec tous ses sujets en leur dialecte national. Les officiers autrichiens doivent être polyglottes, car lorsque l’avancement les fait entrer dans un régiment de nationalité différente, il faut qu’ils en apprennent l’idiome, et une partie de leur existence se passe à étudier des grammaires toujours nouvelles pour eux. Aux environs de Temeswar, un propriétaire me disait qu’il avait absolument besoin de connaître cinq langues : le latin pour les anciennes pièces officielles, l’allemand pour ses relations avec Vienne, le hongrois pour prendre la parole dans la diète, enfin le valaque et le serbe pour donner des ordres à ses ouvriers. Charles V prétendait qu’un homme en vaut quatre quand il sait quatre langues. À ce compte, l’Autriche devrait être bien puissante, car c’est le moins que sachent beaucoup de ses habitans. Il n’y a pas jusqu’aux billets de banque qui ne portent témoignage de la multiplicité des dialectes en usage dans l’empire. Sur ces chiffons qui, valant 10 kreutzers (25 centimes), remplacent la petite monnaie, on s’est donné la peine de. graver une inscription en huit langues différentes accompagnée de cette devise : Viribus unitis,