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comme une forteresse; que ses murs puissent nous protéger, car le temps prévu par nos anciens livres est arrivé : les Turcs sont là... »

Les Turcs sont là en effet. L’empereur reçoit une lettre du sultan Mourad qui le somme de lui livrer « les clés dorées de toutes ses villes et des tributs pour sept ans à venir. » A cet ordre, l’empereur pleure amèrement; mais bientôt, reprenant courage, il adjure ses Serbes de le suivre à Kossovo. « Malheur, dit-il, à celui qui évitera le combat! Que sous sa charrue la terre reste stérile, que le froment ne germe pas dans son champ, que le raisin ne mûrisse pas sur ses collines! » Suivent les sermens de fidélité de l’armée à son chef. Les jeunes Serbes contractent entre eux des fraternités d’adoption qui ont un caractère religieux. Le poème ne contient aucun récit de la bataille. Il raconte seulement comment le lendemain Militza apprit de tristes nouvelles. Au point du jour, deux corbeaux s’abattent sur la tour de Krouchéwatz, «Au nom de Dieu, noirs corbeaux, dit l’impératrice, d’où vous êtes-vous envolés? Arrivez-vous du champ de Kossovo? Avez-vous vu les deux armées? laquelle est victorieuse? » Les messagers de malheur se succèdent. Voici venir le fidèle serviteur Miloutine, qui soutient avec sa main gauche son bras droit à moitié tranché. Il a dix-sept blessures, et son cheval ruisselle de sang. Il apprend à Militza a comment sont morts son époux, son père, ses neuf frères et son gendre, le vaillant Milosch, qui n’est tombé qu’après avoir tué le sultan Mourad; mais le mari de son autre fille, Vouk Brankowitch, a trahi les chrétiens; telle est la cause de la défaite... »

Ainsi se développe cette chronique nationale et religieuse. Peut-être un éditeur bienveillant est-il intervenu dans l’arrangement de quelques scènes, a-t-il complété quelques épisodes, éclairci quelques passages obscurs; il n’en paraît pas moins certain que le fond légendaire n’a pas été altéré, et l’on sent en effet dans ces récits de la vie barbare l’âpre saveur des premières poésies. M. d’Avril raconte que des rhapsodes mendians et le plus souvent aveugles comme Homère chantent encore aux paysans attentifs le dévouement de Lazare, l’héroïsme de Milosch, la trahison de Vouk Brankowitch. Le champ de bataille de Kossovo est toujours le but d’un pieux pèlerinage. Ce culte des patriotiques souvenirs dénote une race forte et simple, dont un long asservissement n’a pas tari la sève, et aujourd’hui que la question d’Orient, modifiant ses termes, devient avant tout une question de nationalités, il n’est pas sans intérêt d’étudier dans les légendes intimes du petit peuple serbe le caractère de ses traditions et de ses tendances.


J. DE CAZAUX.


Traité théorique et pratique de droit public et administratif,
par M. A. Batbie, 7 vol. in-8o; Cotillon.


L’immense quantité de lois, d’édits, d’ordonnances, de règlemens, de décrets, dont l’ensemble constitue notre droit administratif renferme