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arbres résineux, des rivières sans eau, mais fleuries de lauriers-roses, des champs d’orge et de maïs, des haies d’aloès, des bois d’oliviers, des villes blanches et riantes, en un mot tous ces détails du paysage d’Orient qui se retrouvent de Marseille à Alexandrie; sur l’autre versant au contraire, l’aspect général est sévère et triste. Le voisinage du Danube et la disposition des vallées ouvertes aux vents du nord y maintiennent une température basse et humide. La végétation de cette zone est celle du centre de l’Europe; on rencontre même sur certains points la flore septentrionale. Les plaines y sont boisées comme les hauteurs ; les chênes et les bouleaux s’y entremêlent aux sapins alpestres. Les villages sombres et enfumés, fortifiés de palissades et cachés dans les replis du sol, rappellent les stations des barbares décrites par les historiens de Byzance. La population qui habite cette région est en effet une race venue du nord. Ce sont des Slaves qui entrèrent dans l’empire romain au VIIe siècle pour s’établir sur les points qu’ils occupent encore aujourd’hui. Furent-ils appelés par Héraclius ou bien s’imposèrent-ils à la cour impériale, qui, trop faible pour les renvoyer, leur accorda le titre de colons dépendans? C’est là un point historique qui n’a pas été résolu. Dès le IXe siècle au surplus, les Serbes s’étaient affranchis déjà de ce semblant de vassalité, et vers le milieu du XIVe siècle ils étaient devenus assez puissans pour inquiéter les successeurs d’Héraclius dans Byzance même. Survinrent les Turcs. La Serbie n’était pas de force à leur résister. Aussi les chrétiens slaves des bords du Danube éprouvèrent-ils en 1389, dans la plaine de Kossovo, un immense désastre qui fait le sujet des poèmes légendaires traduits par M. d’Avril.

L’origine du peuple chez lequel ces chants se sont produits, ses mœurs, ses traditions, jusqu’à l’aspect du pays où il réside, indiquent d’avance quel doit être le caractère de cette poésie. Bien n’y rappelle l’abondance d’imagination, la grâce élégante et l’esprit sceptique des épopées du cycle d’Homère. Les rhapsodies serbes, pour me servir de l’expression qu’emploie le traducteur, loin de se rattacher à la Grèce, ont des rapports plus ou moins éloignés avec les chansons de geste de l’Occident, ou même avec les sagas de l’antiquité scandinave.

Le poème de la bataille de Kossovo commence par la description d’une fête. L’empereur Lazare et les seigneurs qu’il a conviés sont assis à table, ils devisent en buvant le vin frais, lorsque entre dans la salle du festin la femme de Lazare, l’impératrice Militza. Elle s’avance à pas mesurés vers le siège élevé où se tient son glorieux époux, et lui dit doucement : « Monseigneur, tes ancêtres ont toujours employé leurs richesses à élever des monastères et des églises. Qu’attends-tu pour les imiter et pour sanctifier ta vie par de pieuses dédicaces? » Pendant que l’empereur serbe, ému de ces reproches, fait le vœu de fonder sans retard le couvent de Ravanitza, son gendre, le jeune woïwode Milosch, s’écrie : « Si vous construisez un monastère, ô Lazare, qu’il soit solide et crénelé