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toute une réformation intérieure sous peine de se voir menacée d’une déchéance inévitable. M. Prevost-Paradol est un de ces esprits élégans et fermes qui ne reculent pas devant l’expression de la vérité, même la plus dure, et c’est avec raison qu’il met son livre à l’abri de cette parole virile : « Il serait temps que chacun dît ce qu’il pense, et que l’hypocrisie politique qui nous dégrade en même temps qu’elle nous consume eût un terme… » L’inspiration de ces pages décorées du nom de la France nouvelle est dans une seule idée, c’est que la révolution française a fait une société, elle n’a pas trouvé son gouvernement. Ce gouvernement à coup sûr ne peut être que la démocratie organisée ; mais la question est de savoir comment la liberté peut vivre dans cette démocratie. Jusqu’ici, tantôt elle s’est perdue dans la licence, tantôt elle a été étouffée sous un despotisme né de l’anarchie. La France oscille entre toutes ces extrémités, et elle s’épuise tandis que les autres peuples grandissent, tandis que la race anglo-saxonne envahit le globe, où elle va régner. Pour l’auteur de la France Nouvelle comme pour bien d’autres, l’année 1866 a été une date décisive, peut-être irrévocablement néfaste. Le livre de M. Prevost-Paradol s’inspire d’un mâle esprit, et dans l’étude des réformes que la France aurait à réaliser pour redevenir maîtresse d’elle-même il y a certainement bien des vues ingénieuses ; mais que seraient ces réformes, si le mal était si profond, si étendu, qu’il pût déjà légitimer les conclusions de l’auteur ? La France est malade, nous le savons bien, elle est prise d’une langueur dont elle a de la peine à revenir. Est-ce à dire que nous soyons déjà si condamnés, si parfaitement éclipsés par les autres peuples, que nous puissions tout au plus nous promettre dans la civilisation de l’avenir le sort touchant et effacé d’une autre Grèce, d’une autre Athènes ? Le malheur et la faiblesse de cette démonstration, inspirée d’ailleurs par un sentiment élevé de tristesse, c’est qu’elle ne suppose pas seulement une crise, elle semble proclamer l’épuisement de cette vigoureuse sève de la révolution par laquelle s’est faite la France nouvelle. Il y a des heures de découragement sombre oui on savoure ces amertumes, et on les exprime avec éloquence quand on a le talent de l’auteur. Avec un peu de réflexion, on se reprend vite à croire que les destinées de la France ne sont pas finies, et, sans céder à un vain orgueil, on peut se dire que le jour où notre pays disparaîtrait dans cette ombre d’une décadence définitive un grand vide se ferait dans le monde. M. Prevost-Paradol le croit lui-même assurément. Il faut prendre son livre non pour ses pronostics, mais pour ses généreuses pensées, qui sont comme un aiguillon allant réveiller l’inertie contemporaine.

Nous parlons de la France d’aujourd’hui, de cette société nouvelle, toute démocratique, qui a ses destinées orageuses, et voilà deux images discrètes, à demi voilées, de la société d’autrefois qui revivent dans des pages d’une simplicité charmante, éclairées d’un doux reflet d’émotion. C’est Mme  de Lafayette, la femme du héros de la révolution, racontant