Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/508

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nation qui travaille à s’organiser. Il n’est peut-être pas d’une souveraine prudence de provoquer sans cesse des crises d’où l’Italie peut sortir meurtrie, nous l’avouons, et où d’autres aussi peuvent laisser ce qui leur reste de puissance. Ce futur concile, il conduit à la guerre plutôt qu’à la paix en Italie, voilà un de ses inconvéniens ; mais c’est en France surtout que la question risque de s’agrandir et que cette démonstration peut finir par placer le clergé et le gouvernement lui-même dans une situation aussi délicate que périlleuse.

Il ne faut pas s’y tromper, c’est peut-être la plus sérieuse épreuve qui se présente. Le clergé français en grande partie est resté jusqu’ici modéré d’esprit, tranquille et attaché à ses devoirs. Ceux qui prétendent parler pour lui n’expriment pas toujours ses sentimens. Façonné à vivre dans un monde transformé par la révolution, il n’éprouve pas le besoin d’entrer en guerre avec la société civile, avec l’esprit moderne. Il se ressent de l’atmosphère française qui l’enveloppe, et même, à y regarder de près, on trouverait que beaucoup d’ecclésiastiques, avec un peu plus d’indépendance, résisteraient aux entraînemens absolutistes. Dans tous les cas, il reste encore en France un vieux fonds gallican qui persiste, même quand les apparences s’en vont chaque jour. Voilà les chefs de ce clergé transportés dans une assemblée souveraine où vont dominer naturellement les doctrines ultramontaines. Que feront-ils ? Les plus fougueux l’emporteront évidemment sur les plus modérés, et nous oserions affirmer que M. l’évêque d’Orléans jouera au concile un plus grand rôle que M. l’archevêque de Paris. Ce qui n’était qu’une opinion sur les plus grandes questions qui divisent le monde deviendra un dogme ou presque un dogme qui s’imposera au nom de la foi, et, à moins d’une résistance déclarée qui serait presque aussi dangereuse que la soumission, qui d’ailleurs n’est nullement à prévoir, l’église française tout entière se trouvera engagée dans une campagne où elle n’était pas irrévocablement compromise jusqu’ici, dont quelques-uns de nos prélats les plus violons restaient seuls responsables. Qu’on réfléchisse un instant sur cette situation faite au clergé français le lendemain du concile, si, comme tout le fait croire, ce sont les doctrines les plus absolues qui sont consacrées par l’autorité souveraine de l’église universelle. Il faudrait avoir bien peu de prévoyance pour ne pas pressentir que la guerre se rallumera plus que jamais, qu’une scission plus profonde s’accomplira entre tout ce qui tient à l’esprit ecclésiastique et tout ce qui tient à l’esprit laïque, et il faudrait avoir moins de prévoyance encore pour douter de l’issue d’une lutte où l’église s’est dix fois engagée depuis trois siècles pour être dix fois vaincue. Voilà un autre inconvénient de ce concile, qui peut devenir un grand piège pour notre clergé, à moins que ce ne soit le commencement d’une révolution dès ce moment acceptée par lui.

Et le gouvernement français, que va-t-il faire ? Quelle sera son atti-