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Ce pape ingénu semble fait pour toutes les audaces, comme il a été soumis à toutes les épreuves. Il ne convoque plus, ainsi que le faisaient ses prédécesseurs, les souverains, les puissances laïques à son concile, il les laisse parfaitement de côté. Ce qu’il fait avec sa candeur accoutumée est l’affirmation la plus hardie de l’indépendance absolue de l’église. C’est donc l’église seule qui va mettre la main à l’œuvre, qui entreprend de se suffire à elle-même en dehors de tout concours des gouvernemens, et, d’après les circonstances où nous sommes, d’après l’inspiration sous laquelle ce grand fait se produit, il est bien clair que c’est là une immense tentative pour ressaisir une puissance ébranlée, ballottée à tous les vents du siècle, pour rallier le clergé universel sous le drapeau d’une doctrine unique déjà résumée dans le syllabus de 1864. C’est, en un mot, une lutte plus que jamais engagée entre l’esprit ecclésiastique retrempé dans un concile et l’esprit d’émancipation laïque qui anime les sociétés modernes. Ce n’est pas tout à fait sans raison, on en conviendra, que l’autre jour au sein du corps législatif, à propos du budget des cultes, M. Émile Ollivier, dans un discours aussi habile que sensé, faisait au gouvernement un devoir de surveiller une situation grosse de difficultés, et M. Baroche a répondu après tout comme peut répondre un ministre qui laisse entrevoir la préoccupation dans la réserve.

Ce qui sortira de ce concile au point de vue purement religieux, nous ne le recherchons pas. Il se trouvera quelque autre Sarpi pour raconter les péripéties de ce drame ecclésiastique. Politiquement, c’est une autre affaire, et il reste à se demander si cette démonstration qui va tenir pendant dix-huit mois les esprits en suspens n’est pas faite pour compliquer les choses au lieu de les simplifier, pour multiplier les embarras et peut-être les périls. C’est là vraisemblablement le moindre souci des inspirateurs du concile et de ceux qui en célèbrent d’avance les grandeurs, qui voient déjà l’église répandant la lumière du haut de Saint-Pierre, et reconquérant le monde à ses lois. N’est-il point à craindre d’abord que ce mouvement religieux exceptionnel dont Rome va devenir le centre pendant quelque temps ne vienne suspendre encore l’œuvre d’apaisement et de consolidation en Italie ? Les Italiens sont gens pratiques, nous le savons bien ; ils ne s’émeuvent pas toujours aussi aisément qu’on le croirait, ou du moins ils ne s’émeuvent que quand ils le veulent, et ils sont fort capables de tirer parti de tout, même de mettre à contribution les pères du concile et les voyageurs accourus à leur suite. Il n’y a pas moins dans un tel fait une excitation permanente pour toutes les passions. Ceux qui ne demandent pas mieux que de pousser tout à l’extrême et d’empêcher l’Italie de se constituer, ceux-là sont dans leur droit sans doute, comme aussi ils justifient les Italiens qui se laisseraient aller à répondre aux manifestations d’hostilité dont ils pourraient être l’objet, car enfin, il en faut convenir, il y a quelque chose d’irritant dans cet appel à toutes les forces morales de l’univers pour tenir en échec une