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suite de cette vérité insaisissable, et c’est la pire des choses, car l’obscurité, en permettant toutes les exagérations, offre un facile prétexte à toutes les crédulités.

À vrai dire, en matière de finances, il y aurait un idéal que tous les esprits sensés voudraient voir réalisé, qui répond aux conditions les plus naturelles de l’administration de la fortune publique aussi bien que des fortunes privées. Cet idéal, ce serait tout simplement un vrai budget, un budget ordinaire largement établi de façon à suffire aux nécessités essentielles du service public, fortement constitué sur un équilibre normal de recettes et de dépenses. Cela fait, le jour où par leur élasticité propre, par le mouvement de la richesse nationale, les recettes se sont accrues et ont gagné de vitesse les dépenses, une situation nouvelle apparaît : cet excédant, s’il n’est employé à des diminutions de taxes, devient tout naturellement la dotation de travaux extraordinaires, de ces travaux toujours utiles sans doute, mais qui n’ont pas un caractère essentiellement obligatoire, dont l’exécution est une affaire d’opportunité. Qu’on aille plus loin : une circonstance exceptionnelle et imprévue appelle un effort du pays, des travaux d’un ordre supérieur et urgent se présentent, et les excédans ne suffisent pas : alors une autre question s’élève, celle du recours à cette ressource extraordinaire et toujours onéreuse dont la forme habituelle est l’emprunt. Ainsi un budget ordinaire fortement établi dans son équilibre invariable, et un budget extraordinaire ou supplémentaire composé soit d’excédans réellement disponibles soit de ressources demandées accidentellement à l’emprunt, mais s’appliquant à une nécessité directe, pressante, et se proportionnant toujours à l’opportunité, s’étendant ou se resserrant selon les circonstances, c’est lu, à ce qu’il semble, un cadre où l’on pourrait se mouvoir à l’aise. Seulement, pour que cette combinaison garde toute son efficacité, il faut évidemment qu’elle soit appliquée avec une énergique et scrupuleuse sincérité, qu’elle ne cède pas au premier entraînement ou à la première pression de l’imprévu. Il ne faudrait pas, par exemple, troubler incessamment l’ordre naturel des recettes et des dépenses, affecter des ressources venant de l’emprunt à des nécessités ordinaires, ou alléger en apparence le budget ordinaire pour maintenir un équilibre fictif en faisant passer des dépenses normales dans le budget extraordinaire ; il ne faudrait pas escompter d’avance la progression naturelle des revenus au risque de se heurter contre des mécomptes inévitables ; il ne faudrait pas, en un mot, déserter le terrain solide de la vérité pour se livrer aux aventures avec cette foi superbe en une fortune dont les faveurs ne sont point inépuisables.

C’est là précisément un danger dont on ne s’est pas défendu depuis seize ans. Le gouvernement, avec un abandon d’autant plus magnifique qu’il était moins contrôlé, a procédé un peu comme tous ceux qui ont