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nation. On saura peut-être ce que célèbre ta grosse grive du gui dans son solo de contralto, et de quoi se moque la petite grive des vignes qui lui répond en fausset. On ne comptera peut-être plus cent vingt espèces de roses sauvages sur nos buissons. Peut-être aussi en aura-t-on distingué cent vingt mille espèces; peut-être paiera-t-on un impôt pour cultiver le drosera dans un pot à fleurs, peut-être n’en paiera-t-on plus pour cultiver sept pieds de tabac dans sa plate-bande. Peut-être aussi croira-t-on qu’il n’y a pas de Dieu logé dans les églises et qu’il y en a un logé partout, voire dans l’âme de la plante.

Qu’est-ce que tu en dis, toi, de l’âme de la plante et de l’ouvrage[1] qui porte ce joli nom? Ce n’est peut-être pas un livre de science proprement dit, mais c’est le développement d’une hypothèse charmante, c’est le sentiment d’un observateur que la poésie entraîne. — Et après tout quel être dans l’univers peut vivre sans ce que j’appelle une âme, c’est-à-dire la sensation de son existence? Que cette sensation devienne conscience chez l’homme, affaire de mots pour exprimer un degré supérieur atteint par une même et seule faculté. Où commence l’être et où finit-il? Ce n’est pas le mouvement, ce n’est même pas la faculté de locomotion, premier degré de la liberté sacrée, qui le caractérise essentiellement. Dans certaines choses, le mouvement semble voulu; chez certains êtres, il semble fatal. La véritable vie commence où commence le sentiment de la vie, la distinction du plaisir et de la souffrance. Si la plante cherche avec effort et une merveilleuse apparence de discernement les conditions nécessaires à son existence, — et cela est prouvé par tous les faits, — nous ne sommes pas autorisés à refuser une âme au végétal. Pour moi, je me définis la vie le mariage de la matière avec l’esprit. C’est vieux, c’est classique; ce n’est pas ma faute si on ne me fournit pas une formule plus neuve et aussi vraie. Or l’esprit existe partout où il fonctionne, si peu que ce soit. L’âme d’une huître est presque aussi élémentaire que celle d’un fucus. C’est une âme pourtant, aussi précieuse ou aussi indifférente au reste de l’univers que la nôtre. Si la nôtre se dissipe et s’éteint avec les fonctions de l’être matériel, nous ne sommes rien de plus que la plante ou le mollusque; si elle est immortelle et progressive, le jour où nous serons anges, le mollusque et la plante seront hommes, car la matière est également progressive et immortelle.

Nous voici loin de la doctrine du jugement dernier et du drame fantastique de la vallée de Josaphat. Ce n’est pas que ces fictions

  1. Par M. Boscowitz,