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d’une grâce orientale. A travers les branches de ceux qui s’arrondissent à la déclivité du terrain, je vois bleuir et miroiter dans les ondulations roses et violettes ce golfe de satin changeant qui a la sérénité et la transparence des rivages de la Grèce. Ce golfe de Tamaris, vu du côté est, est le coin du monde, à moi connu, où j’ai vu la mer plus douce, plus suave, plus merveilleusement teintée et plus artistement encadrée que partout ailleurs; mais il y faut les premiers plans de ce jardin, libre de formes et de composition. Du côté sud, c’est la pleine mer, les lointains écueils, les majestueux promontoires, et là j’ai vu les fureurs de la bourrasque durant des semaines entières. J’y ai ressenti des tristesses infinies, un état maladif accablant. Tamaris me rappelle plus de fatigues et de mélancolies que de joies réelles et de rêveries douces, et c’est sans doute pourquoi j’aime mieux Tamaris, où j’ai souffert, que d’autres retraites où je n’ai pas senti la vie avec intensité. Sommes-nous tous ainsi? Je le pense. Le souvenir de nos jouissances est incomplet quand il ne s’y mêle pas une pointe d’amertume. Et puis les choses du passé grandissent dans le vague qui les enveloppe, comme le profil des montagnes dans la brume du crépuscule. Il me semble que, sur ce banc où me voilà assis encore une fois après lui avoir dit un adieu que je croyais éternel, j’ai porté en moi un monde de lassitude et de vaillance, d’épuisement et de renouvellement. Il me semble qu’à certaines heures j’y ai été un philosophe très courageux, et à d’autres heures un enfant très lâche. Je venais de traverser une de ces maladies foudroyantes où l’on est emporté en quelques jours sans en avoir conscience. L’affaiblissement qui me restait et que le brutal climat du midi était loin de dissiper tournait souvent à la colère, car l’être intérieur avait conservé sa vitalité, et le rire du printemps sur la montagne me faisait l’effet d’une cruelle raillerie de la nature à mon impuissance. Puisque tu m’appelles, guéris-moi, lui disais-je. Elle m’appelait encore plus fort et ne me guérissait pas du tout. J’étudiai la patience. Je me souviens d’avoir fait ici une théorie, presque une méthode de cette vertu négative, avec un classement de phases à suivre, en même temps que j’étudiais le classement botanique d’après Grenier et Godron. Ces auteurs rejettent sans pitié de leur catalogue toute plante acclimatée ou non qui n’est pas de race française. Je m’exerçais puérilement, car la maladie est très puérile, à rejeter de ma méthode philosophique tout ce qui était amusement ou distraction de l’esprit, comme contraire à la recherche de la patience pour elle-même. Et puis je m’apercevais que la sagesse, comme la santé, n’a pas de spécialité absolue, qu’elle doit s’aider de tout, parce qu’elle s’alimente de tout, et un beau jour de soleil, ayant pris