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d’hommes qui gardaient les abords des machines en disant : On ne travaille pas !

Que conclure de ceci? Peu de chose, si l’on n’y voit qu’un fait isolé, beaucoup, si de ce fait on remonte à des considérations générales. Que cette association représente ou non les ouvriers pour lesquels elle stipule, qu’elle ait des racines dans le peuple ou qu’elle n’en ait pas, que tout soit sincère dans ses actes, que ses connivences ou ses ruptures ne soient pas un jeu, qu’il n’y ait pas des vanités et des calculs cachés là-dessous, même des ambitions électorales, c’est ce qu’il serait sans intérêt de rechercher ici. Ces recherches sont d’ailleurs fort délicates, et à peine arriverait-on à un degré appréciable de probabilité. A quoi bon d’ailleurs? En pareil cas, les individus importent peu, il n’y a que les masses qui comptent. Or quels sont les élémens constitutifs de ces masses? Quels groupes peut-on en tirer et quelles passions animent ces groupes? Il y a là un cadre dans lequel le sujet, vu de haut, est renfermé tout entier.

Les ouvriers peuvent se ranger en trois groupes très distincts, très caractérisés. Le premier comprend l’analogue de ce que l’on nomme en Angleterre les unions de métiers et particulièrement de l’union de Sheffield, tristement célèbre. Ni les hommes ni les localités ne sont d’ailleurs en cause, tout est dans le système. Ce système consiste à placer dans une association d’ouvriers l’intérêt commun à une telle hauteur que tout préjugé, tout sentiment, toute loi écrite, s’effacent devant ce motif de détermination : point d’acte qui ne soit licite dès que la fin justifie les moyens. L’association exerce dès lors par la main de ses séides une justice vehmique contre les étrangers et contre ses propres membres, ou, si l’on veut, une police inexorable comme celle du Vieux de la Montagne. Tout individu doit céder sous peine d’être brisé : point d’exception; le récalcitrant sera enrôlé de force, le relaps réintégré, le rebelle châtié. Le cas est le même pour ceux qui subissent l’arrêt et pour ceux qui l’exécutent : ils ne peuvent se dérober les uns à leur sort, les autres à leur tâche. Et quelle tâche ! On a peine à y croire, même sur la foi d’une enquête parlementaire ouverte à cette occasion. Une fois désignées, les victimes avaient lieu de s’attendre aux plus graves sévices : ici on introduisait un baril de poudre dans leur maison et on la faisait sauter, là on les épiait dans la rue, et avec un fusil à vent on leur cassait un membre. De quoi étaient-ils coupables? D’infractions souvent très légères aux ténébreux statuts de l’association. Sur des registres saisis, on en retrouve le détail. C’est de la part des affiliés un refus d’obéissance, un acte de mauvaise humeur, un retard dans le paiement des cotisations, le plus souvent