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gramme touchant qu’il eût fallu respecter, et dont les termes changent dès qu’à un degré quelconque l’aumône entre en ligne de compte. Une fois le mélange introduit, l’effort personnel n’a plus, quoi qu’on en ait, ni la même vertu ni la même énergie. On a beau ménager les frottemens, les traces du collier s’aperçoivent, les contractans se sentent moins libres, par conséquent moins astreints. A quel titre dicteraient-ils des conditions dès qu’ils ne se suffisent plus? Le jour où ce sentiment les gagne, il se relâchent.

A voir les choses de près, on découvrirait ce dissolvant dans tous les services privés où l’état s’ingère d’une manière trop directe. Les caisses d’épargne languissent depuis qu’on les a vues s’identifier avec la dette flottante, et en cas de révolution ne trouver de salut que dans de pénibles expédiens. Les caisses de retraite pour la vieillesse n’ont guère rencontré de cliens que dans les classes qui jouissent d’une petite aisance; les dépôts d’ouvriers n’y sont qu’une exception. Croirait-on qu’à Roubaix, une ville de 50,000 âmes, qui fait par an jusqu’à 200 millions d’affaires, on ne comptait pas, à la date de 1864, un seul souscripteur? Un rapport du maire le constate. C’est qu’il y a là comme un ver qui ronge les meilleurs fruits : non pas que l’état manque d’agens habiles et consciencieux ; pour la régularité des actes, la précision des calculs, la maniement prudent et judicieux des fonds, il peut avoir des égaux, il n’a pas de maîtres, et dans des temps réguliers nulle part on ne trouverait la sécurité qu’il dispense. Ce qui lui fait défaut, c’est l’élasticité que gardent les institutions libres, la faculté de se mouvoir à propos, et cette pleine conscience de soi-même qui seule donne une vie morale et imprime un vigoureux élan à des actes purement facultatifs. Ainsi l’assistance mutuelle, pour justifier son nom et garder sa vertu, devrait faire sa police comme elle fait son recrutement, sans pression extérieure. De même pour l’association : comment veut-on qu’il en sorte une institution sérieuse tant qu’on ne lui laissera de choix qu’entre l’une ou l’autre de ces conditions, être adulée ou muselée, et que l’état lui fera irrésistiblement obstacle dès qu’elle cessera de prendre en lui un point d’appui?


II.

Le mémoire à consulter de l’Association internationale renferme plusieurs passages que, dans l’intérêt de la paix sociale, on supprimerait volontiers. Ce sont ceux qui reproduisent une fois de plus les récriminations fastidieuses de classe à classe dont la place est désormais marquée dans un musée d’antiquités. A y renoncer, les ou-