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cause dont ils s’étaient chargés, ou d’affronter coûte que coûte et jusqu’à épuisement de recours la justice de leur pays.

Voilà les jeux familiers d’un régime discrétionnaire; on ne sait jamais ce qu’il permet ou défend, et s’il sera le lendemain ce qu’il était la veille. Ce régime est démantelé, nous dit-on : la tribune a recouvré une partie de ses franchises; la presse est délivrée des servitudes de l’autorisation et du stigmate de l’avertissement. On est sorti du caprice pour rentrer dans la loi. Oui, mais combien de détails qui y échappent encore, et dans lesquels le caprice survit ! Combien de positions où, depuis quinze ans, l’administration s’est introduite, et dont elle ne se dessaisit pas! Que d’usurpations sur des formes d’activité qui, en bonne économie publique, devraient rester libres! Mettons à part la grande tribune, qui peu à peu s’empare du terrain qu’on lui restitue et se fie pour le surplus aux perfectibilités de la constitution. C’est dans les tribunes du second degré qu’il faut surtout voir à l’œuvre cet art de donner et de retenir qui jamais n’avait été poussé plus loin. Les cours par exemple, les conférences littéraires, de quelle liberté ont-ils joui jusqu’à présent? De cette liberté sous conditions qui a été l’un des instrumens du règne. Les faits sont là, conférences et cours ne sont autorisés que si les auteurs et les matières conviennent, et encore ces autorisations sont-elles sujettes à des retraits imprévus. La presse elle-même se meut-elle librement depuis qu’elle ne relève plus que de la loi? N’a-t-elle pas gardé de son régime d’hier un résidu où l’arbitraire est resté? Comptons: pour les journaux, il y a les formalités du débit : quand ils déplaisent, on leur ferme les kiosques de la vente publique ; pour les livres, il y a le sauf-conduit de l’estampille : s’ils prennent quelques licences, on les exclut de la balle des colporteurs. Ces exécutions ne frappent pas toujours à faux; mais qu’importe? elles sont le produit d’une volonté qui s’exerce sans contrôle et sont blessantes à ce titre, même quand elles servent. On les comprendrait de la part d’un tribunal et du plus sévère de tous, celui de l’opinion publique; mais entre les mains de quelques hommes de bureau jugeant dans l’ombre, c’est un index comme à Rome.

On le voit, les habitudes de tolérance administrative, sujettes à dégénérer, ne s’appliquaient pas aux ouvriers seulement : on a vécu un peu partout à la merci d’un certain bon plaisir et sous des épées suspendues à un fil. Une détente se fait sentir aujourd’hui, mais qu’on se reporte à quelques années en arrière! Avec quelle habileté on réchauffait la fibre populaire par un mélange d’intimidation et de faveur! On voulait avoir les ateliers pour soi, à tout prix, bon gré, mal gré, les lier par des bienfaits et à défaut par des entraves,