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les entreprises chevaleresques du consul Plowden, les imprudences du consul Cameron ; après les mésaventures de celui-ci, l’ambassade inconsidérée de M. Rassam. Au point où les choses en étaient après la campagne malheureuse de ce dernier, le gouvernement britannique, compromis sans y avoir pris garde, était contraint de recourir à la force, s’il ne voulait pas laisser périr son prestige en Orient. Ce prestige est le ressort de sa politique aussi bien en Afrique qu’en Asie; c’est par là qu’il s’impose à 180 millions d’Hindous et qu’avec quelques navires il protège ses nationaux sur les côtes des deux continens. Il n’y avait pas à hésiter; coûte que coûte, il fallait renverser Théodore.

Lorsque sir Robert Napier, après la prise de Magdala, passa en revue ses troupes sur le plateau de Talanta, il leur adressa un ordre du jour, fidèle et véridique résumé des opérations militaires qu’il venait d’accomplir. « Soldats d’Abyssinie, leur disait-il, la reine et le peuple d’Angleterre vous ont confié une expédition très pénible pour délivrer nos compatriotes d’une dure et longue captivité et pour venger l’honneur de notre pays, qui avait été outragé par Théodore, roi d’Abyssinie... Vous avez parcouru sous un soleil tropical ou sous des ouragans de pluie 400 milles d’une contrée montagneuse, vous avez franchi plusieurs chaînes de montagnes d’une élévation de plus de 10,000 pieds par des chemins où vos approvisionnemens ne pouvaient vous suivre. Lorsque vous êtes arrivés en vue de l’ennemi, vous avez traversé le formidable abîme de Bachilo, et vous avez défait l’armée de Théodore, qui tombait sur vous du haut de sa forteresse dans la pleine confiance d’être victorieuse... Vous avez emporté d’assaut l’inaccessible Magdala, défendue par Théodore avec le reste désespéré de ses partisans. Lorsque vous fûtes entrés de force, Théodore, qui n’avait jamais montré de clémence, se défia de l’offre de clémence qu’on lui avait faite, et il mourut de sa propre main. » Voilà bien en peu de mots l’histoire de cette campagne si courte et si bien remplie, qui vaut à sir Robert Napier une grande et légitime réputation, et dont la Grande-Bretagne entière a triomphé avec un enthousiasme qu’il est aisé de comprendre. Les Anglais avaient un but en entrant en Abyssinie : ce but atteint par le chemin le plus court, ils se retirent sans aucun souci de ce qui surviendra derrière eux ; mais n’y a-t-il pas dans cette façon simple et méthodique de traiter les affaires une sorte d’égoïsme que nous autres Français nous sommes incapables d’apprécier? Au prix de quelques complications dont il n’eût pas été embarrassant de limiter l’étendue, nous aurions voulu avant de partir laisser aux Éthiopiens d’autres souvenirs que les ruines de Magdala, seconder les efforts sincères des princes qui héritent du