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leil moins brûlant à mesure que le terrain s’élève; un nouveau défilé se présente, et enfin, après un parcours de 80 kilomètres, on débouche à 2,200 mètres au-dessus du niveau de la mer, sur le plateau de Sénafé. C’est là que la brigade d’avant-garde vint s’établir dans les premiers jours de décembre. La température y était délicieuse, le thermomètre variant de 16 à 24 degrés; la chaleur du soleil était tempérée par une légère brise de mer, les nuits étaient claires et fraîches. La troupe trouvait des vivres frais en abondance. Les indigènes étaient bienveillans; ils se montraient disposés à faire moyennant paiement tout ce qui leur était demandé. Anglais, ci payes de l’Inde et Abyssins vivaient en parfaite intelligence. Ce qui était d’un meilleur augure pour le succès de l’expédition, le prince Kassa, chef du Tigré, avait envoyé dès les premiers jours un ambassadeur au colonel Merewether en lui offrant son concours.

Ainsi vers la fin de l’année la majeure partie des troupes an- glaises était campée dans un pays sain; elle travaillait avec ardeur à améliorer la route qui monte de Zullah à Sénafé, de façon à la rendre praticable aux voitures. Le bouillant colonel Merewether s’était avancé jusqu’à Addigerat, à 50 kilomètres en avant de Sénafé, et avait été bien reçu par les habitans. Les nouveaux régimens qui débarquaient dans la baie d’Annesley prenaient à leur tour le chemin de la montagne; les moyens de transport avaient été réorganisés, la position de l’armée était inattaquable, son moral était excellent, sa santé parfaite. Tout était prêt pour la marche en avant lorsque le général en chef, accompagné des derniers renforts, arrivait à Zullah le 3 janvier 1868. La situation politique n’était pas moins bonne. Kassa et le waagchum Gobhésié, dont on allait traverser les états, semblaient plutôt favorables qu’hostiles. En tout cas, on était en force suffisante pour se passer d’eux ou même pour leur imposer la paix, s’il était besoin. Quant au roi Théodore, on en avait quelquefois des nouvelles par des lettres que les captifs faisaient parvenir à travers mille hasards. Il ne perdait rien de sa résolution à mesure que ses serviteurs l’abandonnaient. Il avançait lentement de Debra-Tabor vers Magdala par étapes de 5 ou 6 kilomètres, embarrassé qu’il était par l’innombrable suite d’hommes, de femmes et de bagages qu’il traînait derrière lui, et surtout par ses huit canons. Il n’y avait plus à craindre qu’il se retirât dans l’ouest avec les captifs, comme on l’avait redouté, car toutes les provinces étaient insurgées contre lui. Il ne pouvait revenir en arrière, parce que le pays épuisé ne lui eut pas fourni de vivres. Y avait-il lieu d’appréhender qu’aussitôt entré dans Magdala, il ne fit périr les malheureux Européens qui étaient en son pouvoir? Plus d’un officier prétendait qu’on ne pouvait éviter ce malheur