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dant MM. Rassam, Blanc et Prideaux avaient été enchaînés dans la forteresse de Magdala. Ce n’est pas qu’ils fussent traités avec une extrême rigueur : Théodore fournissait à tous leurs besoins, et recommandait sans cesse au commandant de la forteresse d’avoir le plus grand soin de ces Anglais, qu’il appelait ses meilleurs amis. Du reste le lieu était très sain, étant situé au milieu de hautes montagnes. Les captifs n’auraient pas été trop malheureux, s’ils avaient pu envisager le terme de cette longue persécution, et s’ils n’avaient pas eu à craindre sans cesse que le despote, dans un moment d’humeur, ne les fît mettre à mort un jour ou l’autre. Sauf leurs armes, qu’on leur avait encore enlevées, « de peur qu’ils ne voulussent se suicider, » ils ne manquaient de rien. Ils envoyaient ou recevaient fréquemment des courriers qui les tenaient au courant de tout ce que l’on disait d’eux en Angleterre. Outre les Européens, il y avait d’ailleurs à Magdala un grand nombre d’autres prisonniers politiques, et entre autres l’évêque copte, l’abouna Salama, qui s’était brouillé récemment avec le roi. Celui-ci ne résidait pas près de ses captifs : il habitait à cette époque à Debra-Tabor, d’où il pouvait surveiller les travaux de son arsenal de Gaffat. Plusieurs Européens avaient abandonné la cause commune, et s’étaient mis au service du monarque abyssin. Toutefois, malgré les soins qu’il donnait à l’armement de ses troupes, les forces de Théodore devenaient de moins en moins redoutables, La plupart de ses partisans l’abandonnaient, sans doute faute d’être payés et nourris. D’une armée de 150,000 hommes qu’on lui attribuait jadis, il ne restait plus autour de lui, disait-on, que 80,000 soldats six mois après l’arrivée de M. Rassam, et 15,000 au bout d’un an. Les insurrections éclataient de toutes parts. Gondar, l’ancienne capitale, avait été prise par les rebelles, puis reprise sans coup férir par les troupes impériales, que l’ennemi n’avait pas attendues, et à cette occasion toutes les églises et sans doute aussi toutes les habitations avaient été incendiées. Cette détresse n’enlevait au tyran rien de son énergie primitive. Il s’entêtait d’autant plus à conserver ses captifs européens qu’il sentait son pouvoir s’affaisser et qu’il craignait de donner des signes d’affaiblissement. A l’entendre, il songeait toujours à de nouvelles conquêtes ; il était résolu à réclamer, par force s’il le fallait, le patrimoine de ses ancêtres, ce qui voulait dire l’Egypte et même la Judée, dont il se prétendait le souverain légitime comme descendant de David et de Salomon en sa qualité de membre de l’antique famille royale d’Ethiopie. Pour cette entreprise, l’Europe entière, l’Europe chrétienne lui devait son appui.

Était-il convenable de poursuivre des relations diplomatiques avec ce fou couronné qui, réduit à une ou deux provinces de son