Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 76.djvu/432

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui étaient accusés d’avoir parlé du souverain en mauvais termes. On instruisit une sorte de procès politique, puis le sauvage potentat fit mine de se radoucir et de vouloir leur rendre la liberté; mais enfin, avant d’entreprendre sa campagne d’été de 1864, il les envoya dans la forteresse de Magdala, liés deux à deux, à dos de mulet. Aux explications que ces malheureux Européens lui demandaient, il répliquait qu’il voyait bien que le gouvernement anglais le dédaignait, et n’avait plus envie de nouer des relations avec lui.

Tel est en gros, — car nous abrégeons beaucoup le récit, — l’exposé des faits qui ont amené la rupture entre l’Angleterre et l’Abyssinie. Soyons justes : Théodore est-il autant à blâmer que les Anglais ont voulu le dire? Voilà un souverain d’une énergie rare, d’une intelligence au-dessus du commun, moins barbare sans contredit que ses compatriotes; il a conquis un empire sans y mettre plus de perfidie ou de cruauté que les mœurs du pays ne le comportent, il a écouté avec docilité les leçons de ses amis Bell et Plowden; il sait sans aucun doute ce que ce dernier écrivait en Angleterre, que l’Abyssinie, lorsqu’elle possédera un port maritime et qu’elle sera gouvernée par un prince à idées progressives, méritera d’être traitée d’égale à égale par les nations de l’Europe; il se croit sérieusement appelé à régénérer sa patrie, il voit des Anglais venir à sa cour et rechercher son alliance, et quand il prête l’oreille à leur discours et qu’il s’offre à nouer des relations diplomatiques, on a l’air de ne plus se soucier de lui, on ne répond même pas aux lettres qu’il écrit. Si l’on voulait que le caractère officiel du capitaine Cameron fût respecté, il fallait commencer par prendre au sérieux la mission qui lui était confiée; c’est ce que lord Russell ne paraît pas avoir fait. Cameron veut continuer avec le roi d’Ethiopie les négociations entamées par son prédécesseur, on l’invite à ne pas se mêler des affaires intérieures du pays; il va visiter le pays de Bogos, on lui reproche de s’être interposé entre les Turcs et les Abyssins; il s’établit à Gondar, on lui rappelle aigrement que son poste officiel est sur les bords de la Mer-Rouge. Ce consul s’est-il trop avancé? Il fallait en choisir un plus habile, ou, en l’envoyant, il fallait lui donner des instructions plus formelles; mais non, l’affaire semble toujours avoir été traitée à la légère. En étudiant les origines de ce singulier conflit, qui d’un début bien modeste devait aboutir à de si grandes conséquences, on serait tenté de croire qu’il y avait au foreign office deux influences contraires : d’une part de savans explorateurs qui vantaient les immenses ressources de l’Abyssinie, faisaient l’éloge de la population, restée chrétienne au milieu de nations idolâtres ou musul-