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cette pensée décida aussitôt de la direction de ses travaux. Un insecte aux différentes périodes de sa vie fut pour lui le sujet d’une intéressante monographie. Bientôt après, entreprenant une œuvre considérable sur l’organisation d’un grand nombre d’insectes et de quelques mollusques, il réunit un magnifique ensemble d’observations du plus haut intérêt, et se fit vraiment créateur d’une branche des sciences zoologiques. Swammerdam avait exécuté de nombreux dessins, rédigé le manuscrit d’un vaste ouvrage, mais il était tombé dans un affreux dénûment; il vendit ses manuscrits à vil prix, et mourut dans une profonde misère à peine âgé de quarante-trois ans, abandonné du monde et l’esprit égaré. Ses manuscrits, échappés à l’oubli ou à la destruction par une sorte de miracle, furent achetés cinquante ans après sa mort par Boerhaave, et ce médecin renommé, possesseur d’une très grande fortune, publia à ses frais l’ouvrage si précieux que l’auteur avait voulu appeler la Bible de la nature.


Les études microscopiques avaient eu d’immenses résultats pour la science. A la fin du XVIIe siècle, tout semblait avoir été observé, et les naturalistes songeaient peu à se faire les continuateurs de Malpighi et de Leeuwenhoek. Au commencement du XVIIIe siècle, le mouvement intellectuel s’était au reste singulièrement affaibli ; les investigateurs étaient devenus plus rares. Il y eut cependant encore quelques micrographes, et nous pouvons citer en particulier un chirurgien de Londres, William Hewson, comme l’auteur d’une très remarquable étude sur le sang. Néanmoins un temps arriva où l’usage du microscope fut perdu d’une manière presque générale. Dans les premières années de notre siècle, des savans distingués affirmèrent que l’on pouvait voir ce que l’on voulait avec le microscope. On alla jusqu’à nier l’existence des corpuscules sanguins, et un professeur de la faculté de médecine de Paris n’hésitait pas à déclarer l’impossibilité d’apprécier le volume et la forme de ces corpuscules par l’observation microscopique. C’était une effrayante décadence. Cette décadence heureusement touchait à son terme. Vers 1820, les progrès de l’optique permirent de construire de puissans microscopes pourvus de qualités inconnues auparavant. Les micrographes se multiplièrent, et leurs incomparables succès firent entrer la science dans une nouvelle phase.


EMILE BLANCHARD.