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tions précises sur les instrumens dont disposait Leeuwenhoek, et ils étaient sans doute assez curieux de connaître un peu la personne de l’étrange observateur. Une circonstance sembla favorable pour satisfaire ce désir et cette curiosité. Un naturaliste anglais, Thomas Molyneux, se rendait en Hollande; il fut chargé de voir le fameux habitant de Delft. Molyneux parvint à le rencontrer, et, bientôt après sa visite, il transmit ses impressions à Aston, le secrétaire de la Société royale. Molyneux n’a pas été charmé; il écrit à la date du 15 février 1685 : «J’ai tardé à répondre à votre lettre parce que jusqu’ici j’ai été dans l’impossibilité de vous parler de Mynheer Leeuwenhoek; mais la semaine dernière je me suis rendu chez lui, et j’ai vu au moins une douzaine de ses microscopes. » Après une description des microscopes, qui n’apprend rien qu’on ne sache déjà, vient la description du savant : « J’ai trouvé en lui, dit Molyneux, un homme très poli, fort complaisant et vraiment doué de grandes aptitudes naturelles, mais, contre mon attente, tout à fait étranger aux lettres. Il ignore absolument le latin, le français, l’anglais ou toute autre langue à l’exception de la sienne, ce qui met grand obstacle à ses raisonnemens. Ne connaissant en aucune façon les idées des autres, il a dans les siennes une telle confiance qu’il se jette dans des extravagances ou dans des explications bizarres tout à fait inconciliables avec la vérité. Vous voyez, ajoute Molyneux, que je vous livre mes impressions en toute franchise, comme vous m’en avez témoigné le désir. »

Le désappointement n’est pas dissimulé. Comment en effet s’attendre à trouver un homme aussi illettré dans l’auteur d’une foule de découvertes de la plus haute importance? L’indifférence que les pouvoirs publics de la Hollande témoignèrent à Leeuwenhoek se trouve non pas justifiée, mais expliquée. Aux yeux des étrangers au contraire, qu’importait l’homme? Les savans admiraient les découvertes; les souverains et les personnages les plus considérables y prenaient un intérêt qui à notre époque semble presque incompréhensible. Dans leurs voyages en Hollande, les rois d’Angleterre Charles II et George Ier ainsi que la reine Anne allèrent visiter le gardien de la chambre des échevins de la ville de Delft, et prirent plaisir à regarder au microscope les objets qu’il s’empressa de leur montrer. L’auteur d’une histoire numismatique des Pays-Bas, Gérard van Loon nous a transmis au sujet de Leeuwenhoek, le curieux récit du passage en Hollande du tsar Pierre Ier en 1698. « Le tsar, rapporte Gérard van Loon, partit de la Haye dans un de ces yachts dont on se sert sur les canaux et passa par Delft où, après avoir visité avec beaucoup d’attention le bel arsenal des états de Hollande, il s’arrêta devant le magasin à poudre des états-généraux. De là, il envoya deux de ses gentilshommes prier le célèbre Antoine