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marine rivale, et les cours de l’amirauté commençaient à exercer avec une provoquante rigueur les droits des belligérans. De tous côtés naissaient les périls, car la France et l’Espagne, en dépit des avantages que leur assurait la neutralité des États-Unis, inquiétaient son commerce, et ne résistaient pas toujours à la tentation de saisir, sous les prétextes les plus futiles, les riches navires qui couraient les mers sous le pavillon étoile.

Jefferson signala ces dangers dans son message de 1805 ; mais, fidèle aux doctrines de son parti, qui s’était toujours montré systématiquement hostile aux arméniens, il demanda seulement la permission de construire quelques canonnières pour la défense éventuelle des côtes et de mettre un peu d’ordre dans l’organisation de la milice. En dépit de leurs sympathies anglaises, les fédéralistes prirent dans les discussions des chambres une attitude plus martiale. Dès son arrivée à Washington, nous voyons Quincy critiquer dans sa correspondance la faiblesse de Jefferson. Ses lettres respirent une inimitié profonde contre ce grand homme, une sorte d’antipathie instinctive, fortifiée par la passion politique. Il écrivait en parlant de lui : « Aussitôt qu’il entra dans le cabinet de Washington en qualité de secrétaire d’état, Jefferson commença ses attaques insidieuses contre les chefs du parti fédéral, notamment contre Adams et Hamilton. Il traitait tous les fédéralistes de tories, d’ennemis de la république, de partisans anglais, et les accusait de vouloir changer le gouvernement fédéral en monarchie… Je suis venu à Washington abhorrant le caractère de Jefferson, Je refusai plusieurs invitations à la Maison-Blanche ; ces refus en même temps que ma conduite au congrès donnèrent à comprendre à M. Jefferson que je n’avais point le désir que ces invitations fussent renouvelées. »

L’humeur qui respire en ces lignes rapprocha Quincy de John Randolph, un tory virginien d’une singulière violence et d’un très grand talent, autant du moins que pouvait le permettre le mépris non affecté que ce dernier professait pour tout ce qui venait du nord et de la Nouvelle-Angleterre. Randolph respectait dans Quincy un orgueil aussi intraitable que le sien. Il avait coutume d’aller à la chambre en culottes et en bottes à revers, avec son habit de cheval et sa cravache. Son éloquence fantasque, aisée, passionnée, le rendait très redoutable ; mais il ne sut jamais se discipliner, et, n’ayant en vue que les intérêts de la Virginie, il ne devint jamais l’âme d’un grand parti national. Au moment où Quincy entrait à la chambre, Randolph y dirigeait une fraction de mécontens qui pensaient avoir à se plaindre de Jefferson. Il était ainsi l’allié des fédéralistes, qui, en raison de leur faiblesse, avaient été contraints de le reconnaître comme le chef de l’opposition.