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son front un diadème. » Le mépris qu’Hamilton professait ouvertement pour Aaron Burr contribua sans doute à exaspérer ce dernier et à amener le duel fatal où le grand fédéraliste devait perdre la vie.

A Philadelphie, Quincy se mit en rapport avec le vice-président Adams; il y rencontra Talleyrand, alors en exil. L’ancien évêque d’Autun et le futur prince de Bénévent ne goûtait sans doute pas beaucoup la « cité des amis; » il disait en 1815 à une dame américaine qui lui rappelait les bals de Philadelphie : « Oui, les Américains sont un peuple hospitalier, un peuple magnanime, et ils sont destinés à être une grande nation, mais leur luxe est affreux! » — Il restait à Quincy à faire la connaissance du président Washington. Il lui fut présenté peu après. Le président à cette époque avait encore une façon de cour, et personne n’était admis en sa présence sans être amené par un membre du cabinet. Tous les quinze jours, Washington avait un lever; il recevait les visiteurs dans le costume où l’a représenté Stuart : habit à la française, jabot de dentelle, culotte et bas de soie; quand les invités l’avaient salué, ils se rangeaient en cercle dans le salon. Le président faisait le tour et causait un moment avec chaque personne. Voici la description que Quincy donne de l’illustre général: « Un peu raide, de manières étudiées, pas très à l’aise en face d’étrangers. Il avait la mine d’un gentilhomme campagnard peu habitué au mouvement du monde, parfaitement courtois, mais sans aisance dans les allures et la conversation, sans grâce dans les mouvemens et la démarche. »

La place de Quincy est désormais prise parmi les fédéralistes. Le traité de commerce conclu par Jay avec l’Angleterre, les imprudences du citoyen Adet, l’envoyé du directoire français, les insolentes prétentions de la marine anglaise, fournissaient d’amples élémens à la passion des partis. L’ardeur politique de Quincy est telle qu’elle ne lui laissait guère du temps pour sa profession ou pour le plaisir. On en aura la preuve par l’histoire de son mariage, qui montre bien au reste l’originalité de ce caractère entier, tout d’impulsion et pourtant singulièrement obstiné. Un soir, on le présente chez un de ses oncles à une jeune demoiselle de New-York, miss Morton, dont il n’avait jamais entendu parler. Agréable sans être belle, elle ne fit d’abord, c’est lui qui le confesse, aucune impression sur Quincy. Un de ses amis le consulte sur une affaire, et il se retire avec lui dans une pièce voisine. Là, tout en discutant, il entend chanter une romance de Burns. Il écoute, il est saisi par le timbre d’une voix jeune et touchante, il jette les papiers qu’on lui a donnés et retourne au salon. Miss Morton, car c’était elle, chante encore à plusieurs reprises. Il cause avec elle, cette fois avec intérêt,