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lier alliage d’audace et de prudence, d’illusion et de bon sens, de générosité et de calcul. Ces grandes figures sont connues, et il ne reste rien à y ajouter. Nous voudrions parler ici d’un autre Américain dont la renommée n’a guère franchi les bornes des États-Unis, mais qui a occupé dans son pays une place considérable. Josiah Quincy a été, on peut le dire, le dernier des fédéralistes. Sa longue carrière, qui commence avec la république américaine et s’étend jusqu’à l’année 1864, embrasse près d’un siècle. Il se trouva mêlé à trois générations d’hommes d’état, il prit une part souvent importante et toujours passionnée aux événemens qui ont préparé le développement grandiose des États-Unis. Il eut cette singulière fortune de survivre à son parti, et dans l’Amérique nouvelle resta un Américain de la vieille roche. C’est surtout à ce titre qu’il peut nous intéresser.

La vie de Josiah Quincy a été racontée avec esprit non moins qu’avec mesure par son fils, M. Edmund Quincy. L’ouvrage n’est point écrit sur le ton de cette admiration banale et sans critique qui est le défaut de presque toutes les biographies. Sans s’écarter un instant du respect qu’il doit à la mémoire paternelle, l’auteur laisse deviner qu’il n’a point accepté l’héritage de passions aujourd’hui surannées. Assurément l’esprit aristocratique et l’esprit démocratique, qui étaient le fonds et comme l’âme des premiers partis américaine, se disputent encore les générations actuelles. Les républicains et les démocrates de notre temps sont bien les descendans légitimes des fédéralistes et des partisans de Jefferson; mais des deux côtés que de changemens! Comme tout s’est transformé! Que de conflits oubliés et que de conflits nouveaux! M. Edmund Quincy, le fils du vieux fédéraliste, s’est enrôlé l’un des premiers dans la vaillante armée des abolitionistes. Il ne faut pas que les fils suivent aveuglément la route tracée par les pères. Dans les pays libres, la vie publique a de tels élans, l’on pourrait dire une telle intensité, que les tâches changent plus vite que les ouvriers. Josiah Quincy avait cependant vu naître et grandir les redoutables problèmes qui récemment n’ont pu être tranchés que par la guerre civile. C’est l’honneur de sa vie d’avoir toujours aperçu clairement et dénoncé courageusement les dangers de l’esclavage. Placé comme entre deux mondes et deux temps si différens, entre l’Amérique de Washington et celle de Lincoln, il vit se dérouler l’histoire entière des États-Unis; vaincu avec les fédéralistes, il applaudit au triomphe des abolitionistes, et vécut assez longtemps pour voir naître l’Union nouvelle.

En 1774, un jeune avocat de Boston, issu d’une famille anciennement établie dans la Nouvelle-Angleterre, partait pour Londres