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cédait en Guégarie l’influence chrétienne, et par conséquent plus dangereuse pour la Turquie, des chefs intrépides de la Mirdita. Cependant les Serbes insurgés fondaient la principauté de Serbie, et les Hellènes le royaume de Grèce. L’insurrection crétoise, en agitant profondément la Bulgarie, a constaté que la vue des efforts perpétuels faits par les chrétiens de la péninsule pour reconquérir leur indépendance exerce une action chaque jour plus forte sur les pâtres de l’Hémus; mais si les Albanais, les Serbes, les Hellènes, les Roumains, peuvent tourner les yeux vers Orosch[1], vers Belgrade, vers Athènes, vers Bucharest, où la croix a remplacé le croissant, où la vie nationale se concentre en attendant que les circonstances (qui ne manquent point aux peuples honnêtes, unis et persévérans) permettent de réaliser les aspirations nationales, la Bulgarie, restée tout entière sous la domination étrangère, continuant de vivre à l’état de province conquise, n’a aucun centre militaire ou simplement intellectuel vers lequel puissent se diriger les regards de ses nombreux enfans. Il en résulte pour elle une infériorité douloureuse qui ne se borne pas seulement à la politique. En effet ce ne sont pas les insurrections qui sont le principal moyen de recouvrer une indépendance contestée. Se délivrer d’une langue imposée par la conquête et des mœurs étrangères, réveiller l’intelligence nationale engourdie par des siècles d’ignorance, retrouver les monumens de la pensée virile des ancêtres, appeler l’attention de tout ce qui réfléchit par de généreuses tentatives pour prendre part au mouvement général des idées et aux aspirations libérales des âmes élevées, s’initier à l’aide d’un travail persévérant à ces sciences qui ont changé la face de l’Occident, constater de toutes les façons qu’on n’a d’autre mobile que l’indépendance, le bonheur et la liberté de son pays, tels sont, mieux encore que les combats, les moyens de reprendre dans le monde civilisé une place perdue par les générations dont les défaillances, les erreurs ou les vices ont livré au mahométisme, à la polygamie et au pouvoir absolu une des plus merveilleuses contrées du monde.


DORA D’ISTRIA.

  1. Au temps des pachas héréditaires de Scodra et au temps d’Ali, Scodra et Janina occupaient en Albanie la place occupée aujourd’hui par une localité bien moins importante, la capitale des Mirdites.