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maux, on est d’abord étonné de voir les Arabes particulièrement maudits. Les Bulgares ne sont pas assez lettrés pour qu’on puisse croire que ces anathèmes s’adressent aux fondateurs de l’islamisme. Il faut plutôt voir dans l’Arabe auquel ils prêtent des traits si étranges « l’Africain noir et hideux » dont les ballades roumaines tracent un portrait non moins bizarre[1]. « Les noirs Arabes » inspirent aux Bulgares plus d’horreur que les Turcs. « Le fléau des Arabes, » le « terrible mal, » le « monstre énorme, » telles sont les expressions qui résument les sentimens inspirés par le noir à la nation bulgare. La terreur tient une telle place dans ces impressions que le nègre, déjà horrible, devient aussi épouvantable que les ogres hideux (les noires populations dravidiennes) qui troublaient l’âme des Aryens à leur arrivée dans la presqu’île de l’Inde. « Sa lèvre inférieure descend sur sa poitrine, — sa lèvre supérieure frappe son front; — il a la tête grosse comme deux tambours, — les yeux comme deux grands écus, — la bouche comme une petite porte; — il a quatre dents comme le manche d’une charrue, — les pieds comme les poutres de Solun (Thessalonique). » Un tel monstre doit avoir des habitudes et des convoitises effrayantes comme sa personne. Aussi est-il présenté comme le type de l’avidité et de la luxure mahométanes. Dans le chant qui nous en donne ce portrait, il affecte la dégoûtante nudité du sauvage, il regarde comme une proie la jeune épouse qu’on mène à son mari, il amasse tant de richesses que son vainqueur trouve sous sa tente trente mules chargées de trésors. Si l’on veut avoir une idée des sentimens que nourrissent les peuples opprimés, il faut étudier le chant qui raconte l’enlèvement de Marie tandis qu’elle travaille aux champs et sa captivité chez les Turcs et les « noirs Égyptiens. » Devenue mère d’un garçon, on la chasse et on l’envoie mendier. Transformée par les souffrances, bridée par le soleil de l’été, noircie par la fumée de l’hiver, elle n’est point d’abord reconnue dans son village. Lorsque ses parens sont enfin convaincus que leur fille et leur nièce leur est rendue, ils songent immédiatement à effacer les souillures de sa captivité.


« — On ne l’admit pas telle dans la maison, — on la conduisit dans la belle église, — on appela le prêtre et le parrain, — et il bénit la chère Marie, — il lui donna le nom de belle Caroline. — Ils allumèrent deux grands feux, — et y jetèrent l’enfant, noir égyptien; — ils le brûlèrent et le rôtirent; — ils recueillirent la blanche cendre — et la jetèrent dans le fleuve impétueux. »


Sans inspirer autant d’horreur que les Africains, les fils de l’Asie, Turcs ou Tartares, causent une grande répugnance aux auteurs des

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1859.