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« sa forte épée » et sa « très belle épouse. » Le tsar Mourad place en tête de l’énumération des biens de Marko Kraliévitch son coursier brun, mentionné avant sa masse d’armes, son épée et sa « jeune épouse. » Le coursier s’étonne si peu de faire partie de la famille que le cheval du capitaine Momcula dit « notre épouse, » et qu’il ajoute : « Toi, maître, tu es un brave, et moi aussi je suis un brave. » Personne ne semble surpris du rôle exceptionnel assigné au cheval. Les femmes le traitent avec un respect mêlé de confiance. Angelina, épouse du brave Raditch, en mettant elle-même la selle à son cheval, lui baise le sabot et lui adresse cette prière : « Je te prie, ô rapide coursier, — de ne pas laisser le brave Raditch, — le brave Raditch, ton cavalier, — boire le vin dans les cabarets. » Les hommes les plus redoutés sont aussi presque respectueux envers leur monture. Marko Kraliévitch, en sellant le cheval destiné à sa mère, lui baise les yeux et lui dit : « toi, mon brun et rapide coursier, — je te mettrai en selle ma vieille mère; — garde-la et ne la fais pas périr — en voyage sur les blanches routes. » Quant à ce qu’il y a d’étrange pour nous dans ces relations intimes de l’homme avec les espèces inférieures, il ne faut pas perdre de vue qu’elles caractérisent les époques primitives. Qui n’a remarqué à Padoue, dans l’église Saint-Antoine, la fresque célèbre qui représente l’éloquent franciscain adressant un sermon aux poissons? Qui ne se rappelle les conversations de François d’Assise avec « ses sœurs » les hirondelles d’Alviano, avec « sa sœur » la cigale de la Por4uncula, avec « ses frères » les oiseaux des environs de Bevagna? Qui a oublié le soin avec lequel il empêchait les vers de terre d’être écrasés, ses malédictions contre les meurtriers des « agneaux de Dieu, » ses conseils fraternels aux levrauts? On ne doit donc pas s’étonner de voir des populations restées fidèles aux habitudes intellectuelles du moyen âge chanter les conversations des Bulgares avec leurs coursiers, avec leurs faucons, avec le « blanc Danube, » avec les étoiles.

Primitivement livrée à la vie pastorale, la branche finnoise de la race finno-mongole montre généralement du goût pour le travail agricole. Ce goût est commun aux Bulgares. Ces jardins dont parlent les chants, j’en ai conservé le souvenir, et je me rappelle fort bien que, dans mon enfance, toute plante qu’un Roumain ou qu’une Roumaine ne trouvait pas ailleurs, on allait la chercher dans « le jardin du Bulgare. » Depuis cette époque, si à Routchouk j’ai constaté la prédominance de l’élément industriel, si Silistrie m’a offert le spectacle d’un bazar, aux environs de Vidin, capitale de la Bulgarie danubienne, j’ai vu dominer la vie agricole, la plus conforme aux habitudes des Finnois. Un penchant si nécessaire au développement de la civilisation donne à la nation bulgare une importance