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stitutifs du monde sublunaire livrés à de sérieuses agitations. Parmi ces principes, les samovilas tiennent assurément le premier rang. L’idée de personnifier les forces de l’univers par des êtres féminins n’est pas particulière aux Bulgares. Les Slaves surtout s’y sont fort attachés. Les Serbes donnent généralement pour habitation à leurs vilas les eaux, les airs et la terre, et leur caractère est déterminé par leur séjour. Les vilas des eaux sont perfides comme l’onde, les vilas des airs ont la sérénité bienveillante des espaces où s’éteignent les passions humaines, les vilas de la terre sont, comme les humains, tantôt bonnes et tantôt mauvaises. Les samovilas des Bulgares ne diffèrent pas essentiellement des vilas serbes; mais, tout en adoptant cette conception, la poésie bulgare lui a donné un caractère particulier. En général, il ne faut pas croire que la similitude des noms entraîne la ressemblance complète des idées. Dans un système religieux où l’unité atteint sa plus complète réalisation, les différences abondent, et qui a étudié avec soin les catholiques de Cracovie, de Naples, de Lyon, de Cologne et de Bruxelles a pu constater combien d’anciennes traditions subsistent avec une invincible persévérance sous l’uniformité des formules officielles. Dans des contrées où l’imagination populaire ne subit pas les mêmes entraves, faut-il s’étonner de voir tant de diversités s’introduire dans les mêmes croyances? C’est ainsi que la vila, dont le caractère est dans les chants serbes aussi sociable que le peuple lui-même, devient la samovila [samo, seule, et vila, nymphe), généralement amie de la solitude, plus semblable aux vieux nomades finnois, errant à cheval dans la steppe sans bornes, qu’aux Slaves, dont l’instinct communiste se manifeste dans la famille, dans la société et dans l’état. Sans doute on trouve dans les chants serbes quelque idée qui fait pressentir la samovila; mais les Serbes n’ont jamais, comme les Bulgares, donné à cette croyance une forme originale.

La simplicité de l’esprit bulgare permet de saisir le caractère primitif de conceptions ailleurs assez compliquées pour que l’origine en soit moins facile à reconnaître. La naïve comparaison entre une samovila, Erina, et un drap blanc donne bien l’idée d’une vapeur qui flotte dans l’espace. Les ailes qu’on donne à la samovila prisonnière de Popov et à la samovila Giorgina montrent par quelles transitions les peuples enfans complètent l’image vague qui, après avoir frappé leurs yeux, se développe dans leur imagination à l’aide des illusions dont l’homme privé de tout esprit scientifique est constamment la dupe.

Il n’est point absolument exact de dire que l’homme fait les dieux à son image. Sans doute, à mesure que l’anthropomorphisme s’accentue, les divinités ressemblent de plus en plus à l’homme; mais elles gardent longtemps quelque chose de la physionomie des