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à réclamer les colonies ibériques ou gauloises sorties de son pays, il serait à désirer que les Bulgares eussent assez de bon sens pour borner leurs aspirations à la possession de la vaste contrée connue généralement sous le nom de Bulgarie, et dont ils ont laissé envahir une si grande partie par les Tartares, par les Turcs, par les Roumains, tandis qu’ils poussaient au hasard leurs aventureux colons dans des provinces sur lesquelles des populations chrétiennes ont les droits les plus anciens et les plus incontestables. Si l’on s’étonne avec raison d’entendre des Bulgares parler de l’antique Byzance des Hellènes comme d’une future capitale, on ne trouverait pas moins étrange la prétention de transformer la Macédoine de Philippe, d’Aristote et d’Alexandre en province d’un état finno-slave. De semblables exagérations compromettraient la cause des Bulgares au tribunal du puissant Occident, qui, tout en faisant aux Slaves une part équitable, n’entend nullement slaviser l’Europe entière, ni sacrifier les intérêts de nationalités qui ont rendu des services immenses à la civilisation du monde.

Comme il s’agit ici non de mettre d’accord des nations que la force des choses obligera tôt ou tard à s’entendre, si elles ont le moindre souci de leur avenir, mais de donner une idée exacte des modifications que subit le caractère des Bulgares, bornons-nous à examiner la situation de ce peuple dans les pays assez différens qu’il occupe. Les fractions de cette nation offrent les plus curieux contrastes. On n’a pas assez remarqué combien se ressemblent peu les Roumains qui vivent sur les deux versans des Karpathes. Les premiers, les Transylvains, ont fourni à l’Autriche cette inébranlable infanterie roumaine qui tint tête aux vétérans de Napoléon Ier , ils ont résisté dans les agitations de 1848 avec une bravoure inébranlable à tous les efforts de l’intrépide aristocratie magyare. Les seconds, Valaques et Moldaves, subissent depuis longtemps les invasions étrangères sans leur opposer aucune résistance matérielle. Le Balkan, qui forme comme les Karpathes un des côtés de la vallée du Bas-Danube, partage aussi les populations bulgares en deux parties dont les tendances varient assez sensiblement. Au nord, elles rappellent mieux les habitudes finno-mongoles, leur langue est plus inculte, elles ont mieux accueilli l’islamisme, elles sont plus étrangères aux goûts qui développent ou entretiennent la civilisation. Lorsqu’on voit Vidin et Routchouk pour la première fois, on peut se croire en pays ottoman. Dans les hautes vallées de la « vieille montagne, » leur caractère devient bien plus indépendant, si bien qu’en lisant les chants consacrés à leurs haïdouks on est porté à penser aux pesmas de la belliqueuse Serbie. Au sud, dans des contrées où a persisté l’influence de l’hellénisme, elles se montrent moins rebelles à l’instruction, elles ont des mœurs plus douces.